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L'oeil de l'amour
Invitée par le Centre de Recherches Européennes en Education Corporelle à
l'Université des Sciences Humaines de Strasbourg lors du Colloque
International sur La danse, une culture en mouvement, Valérie Folliot
prononce une communication sur le langage audiovisuel in situ in acto de
Philippe Colette, les 7, 8, 9 mai 1999, CREEC - Université des Sciences
Humaines, Strasbourg.
L'OEIL DE L'AMOUR
Né en 1964, Philippe Colette vit et travaille en Normandie ; il a d’abord
suivi un cursus universitaire qui l’a conduit à l’obtention consécutive
d’une Maîtrise en Psychopathologie puis d’une Maîtrise en Psychosociologie ;
par la suite, il s’est orienté vers un Doctorat en Sciences de l’Information
et de la Communication. Ces études lui ont permis d’étayer certaines
hypothèses liées aux processus de réception des œuvres d’art et surtout
liées aux mécanismes d’interprétation du discours journalistique chez les
téléspectateurs. Très tôt, Philippe Colette s’est intéressé à l’image ;
grâce à la photographie, il s’est évertué à déceler pour la magnifier la
"beauté cachée" des figures modèles, curieux du mystère des silhouettes
qu’il avait choisies parmi les anonymes. Adolescent, le film Super huit l’a
sensibilisé à l’image cinétique et au mouvement qu’il lui fallait retenir
avec adresse. Le problème du choix l’a donc plongé au cœur du sempiternel
dilemme des photographes : que montrer et comment ? Aussi a-t-il résolu
cette crise en filmant au gré d’une sensibilité vive qui lui permettait
d’anticiper les variations des égéries. Être à l’écoute. Vibrer en harmonie
avec la mouvance. La nécessité d’être économe devait cultiver son acuité,
son sens du discernement, d’où l’impression de clairvoyance qui émane de ses
réalisations ; d’où cette émouvante intuition du non-dit ; d’où son immense
passion pour l’implicite ; d’où cette attirance pour tout ce qui n’est pas
lui et qui lui fait face ; d’où cette propension à retranscrire les
événements tels qu’il les a intimement vécus. Pour Philippe Colette,
l’affectivité l’emporte. Il échappe au triste constat du réel parce qu’il le
sublime en y greffant son inaltérable vision de la beauté. Souvent, le
défilement des séquences fait transparaître l’une des formes multiples de la
grâce. Il force autrui à se recueillir, qu’il soit actant ou regardant.
C’est avant tout sa réalité charnelle qui l’engage à dépeindre ce qu’il
voit, ce que son corps enregistre ; ses films disent combien l’existence est
foisonnante, combien subjective et sensorielle est la vérité ambiante. Son
tact n’entrave cependant pas cette brutalité qui le rend mordant. Jeune
homme, il a découvert la vidéo ; ce fut pour lui le plus parfait des
médias ; lui qui n’aspirait qu’à la cristallisation du présent et à sa
donation… La vidéo-danse concourait donc à la passation d’un savoir
éminemment physique sur le temps. Son goût pour l’échange des points de vue
trouvait un véhicule. Avec les artistes et les spectateurs conviés au débat,
il s’est adonné à la mesure des choses. Le film magnétique et la
vidéoperfomance de surcroît lui permettaient de découvrir des moyens
d’envisager autrement les processus de perte et de disparition, de tester
l’éphémère, de se gorger de la surenchère et du superflu parfois, d’évaluer
l’instantanéité, d’être en prise avec le regard, de lire l’instant qui avait
suivi la captation et relire ainsi, dans l’immédiateté et indéfiniment, la
course de la vie. Plaisir magistral à l’aune de ses œuvres et qu’il ne cesse
de vouloir partager encore à cette heure où l’Internet est devenu l’ultime
espace du différé. En quelques lieux, en quelques circonstances, il opère
sur l’icône. L’image de la personne en acte semble être à ses yeux un
organisme perméable à toute métamorphose. Ses vidéos-danse relèvent chacune
du langage pictural et musical. Elles ne sont jamais d’ordre
cinématographique mais plutôt poétique. Sous son libre arbitrage, le support
vidéo se prête aux traitements architectoniques les plus incongrus. L’unique
finalité étant chez Philippe Colette d’interpeller l’Inconscient. En créant,
il vérifie que les individus demeurent prompts à recevoir l’imprévisible ;
il observe comment les autres se tiennent devant les reflets qu’il leur
présente : quelle fascination narcissique captive celui-ci, quelle répulsion
choque celui-là ? Chez Philippe Colette, le film de danse s’appréhende in
situ dans son lien à la performance mise en scène. Il conçoit ses
réalisations en vertu d’une action qui sera dansée en direct devant une
assemblée, réunie soit au théâtre, soit dans des galeries ou autres espaces
atypiques. Les compositions audiovisuelles de Philippe Colette relèvent des
frictions qui se produisent entre l’image tridimensionnelle de l’actant
livré en chair et en os, et ses images bidimensionnelles projetées sur des
surfaces aux dimensions variables qui réfléchissent d’autres mondes, en
grandeur nature, en visions gigantesques, en miniatures, sous divers angles
et optiques, de plain-pied ou morcelés, nets ou bien flous... Ainsi Philippe
Colette fractionne-t-il la réalité du sujet dansant ; il en appelle à la
conscience des témoins, à la fois "téléspectateurs" et publics. Il façonne
une humanitude fantasmagorique et entre dans la peau des autres. C’est
toujours en analyste qu’il conduit sa caméra. C’est en poète surtout qu’il
élabore ses films, mais en peintre aussi. D’aucuns verront une indiscrétion
dans les introspections : révèle-t-il l’insondable, raconte-t-il son propre
tréfonds en posant son regard sur la danse ? À la manière de Francis Bacon,
Philippe Colette dévoile l’univers des turpitudes traversées de souffrances
et de jouissances. Il devine ce que recèlent nos vanités ; il extrait de la
vie l’essentiel : notre quintessence lovée. Avec Philippe Colette, l’union
du direct et du différé ouvre de nouveaux possibles à notre configuration
fondatrice.
Valérie Folliot
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