Le costume comme support dinscription
Valérie Folliot
Parler du costume de danse suppose que nous traitions des liens qui se tissent entre le vêtement et le mouvement. Ainsi nous proposons-nous den rappeler les tenants et aboutissants en ne négligeant pas ses rapports au professionnalisme. Au fil de lHistoire, quelles incidences sur les gestuelles exercèrent les modes vestimentaires ? Et réciproquement ? A partir des images concernant le " Dieu de la danse " et l " Etoile ", nous explorerons le fait que le XVIIIe siècle est bien celui des grands danseurs, alors que le XIXe siècle est plutôt celui des grandes ballerines. Il est vrai que : " La danse néchappe pas au monde. Plaque sensible, elle révèle comme lensemble de la société le triomphe des apparences, la dictature de la surface. " 1 Nous dégagerons à ce titre lidée que chez les artistes, les modifications touchant au domaine de la costumation répondent à de nouvelles préoccupations tant sociologiques questhétiques, elles-mêmes conditionnées par un environnement politico-théâtral.
Jusquau XXe siècle, lart du Ballet illustre une théopoétique solaire, tandis quà partir des années 1890 sous linfluence dun anticléricalisme laïque, les démons métaphoriques dune chair trop désirante surgissent du tréfonds. Avec François Delsarte, les recherches psycho-anthropologiques amèneront la danse à divorcer du pouvoir officiel en affirmant par le dénuement ou la sobriété, la splendeur du corps en soi et sa force expressive. A cette époque, la quête dune nudité primale obsède déjà les créateurs. Venue dAmérique, alors que sembourbe lacadémisme et le ballet romantique occidental, alors que sagrandit le prestige du Music-Hall, Loïe Fuller dans ses danses de voiles luminiscents et colorés symbolise à elle-seule la société industrialisée et par elle, le renouveau des arts. Dans son sillage, la théâtralité hellénique des Maud Allan et Isadora Duncan, leur dédain pour le bustier et les pointes en témoignent, ainsi que la pittoresque costumation ethno-orientale dune Ruth Saint-Denis. Longtemps après quen 1921 dans LHomme et son désir, Jean Börlin napparaisse nu en cache-sexe et le corps enduit, cinquante ans après les audaces apolliniennes de Ted Shawn qui, en 1923, interprétait La Mort dAdonis en simple cache-sexe aussi, durant les décennies 1970-1980, la libération sexuelle amorçait une nouvelle relation de linterprète à son image scénique. En loccurrence, la sensualité du couple dénudé dans Mutations de Glen Tetley en 1970 diverge radicalement de la conception puritaine, post-cunninghamienne, des corps-machine que la chasteté gante très finement dacadémiques. Quand Daniel Dobbels fait se déshabiller la danseuse dans Enfer en 1987, limportant consiste à restituer le galbe, à rendre leur place aux formes charnelles que la ligne et le culte de la minceur avaient prohibés. " Il ne sagit pas seulement pour le nu dêtre représenté en tant que tel, de se référer à une "académie". Encore moins de "figurer" comme "costume" choisi en vue dune certaine démonstration " 2. Il convient ici de retrouver lémotivité, le volume du corps dansant, jusquà ces jours voilé par une pudeur toute judéo-chrétienne. Linsoupçonnable trouble érotique surgit alors de la peau en acte. Toutefois, cette nudité diaphane, comme dans les grandes fresques macabres dont seul, à présent, le Butoh en détient la mystérieuse puissance allégorique, ne porte-t-elle point en sa fibre le sceau de la mort, blanche, blanche comme livoire de nos cendres ?
Dès le XIIe siècle en France, la danse mesurée des seigneurs se sépare des danses populaires. Appelée basse danse, elle se différencie des danses paysannes de par son esthétique souple et déliée. Dite linéaire, elle ressortit à léthique chrétienne. Divertissement galant, à lencontre des danses rituelles orientales, elle se place sous le signe dun comportement également paisible, réservé, dun secret que lhabit préserve.
Simultanément à la royauté naissante (XIIIe siècle), les danses de Cour apparaissent, propageant la notion détiquette. Le sujet actant, modelé daprès la personnalité canonique du souverain, exalte une représentation de soi qui sera pérennisée, affirmant ainsi son individualité et son appartenance à la caste.
Composée de glissades, de pas à terre nombreux, la danse noble du Moyen-Age glorifie lidentité aristocratique. Cette tradition ne se perdra pas, jalousée au sein de lacadémisme classique et de la danse dOpéra.
Outre lexaltation de lHomme et de la Femme, cest limage du couple consacré qui surtout est magnifiée. Les évolutions se déroulent avec harmonie, avec sérénité. Le culte du héros transparaît sous les traits du chevalier dont larmure et les armes appesantissent la marche mais la rendent rassurante, ou selon inquiétante. Lidéal de la Vierge prend corps en la Dame dont lélégance nonchalante provoquée par de longues étoffes et draps plombants interdit toute expansion. Les parcours se dévident à lunisson, en cercle de préférence, selon la tactique des rapprochements et éloignements qui aiguise des jeux courtois et répondent aux lois de la séduction.
Au XVe siècle, le vocabulaire de la danse seigneuriale se codifie largement, fondée sur les principes de maîtrise, découte, de grâce et de mémoire.
Dans une position hanchée alanguie, le corps se déplace avec une sinueuse dignité que souligne laccumulation des robes, manteaux, sur-robes, vêtements hypertrophiés sur trois à cinq mètres par des traînes glissant sous la houppelande unisexe, ou bien sétirant du faîte des hennins quarborent les dames. Chaussés de poulaines proportionnées à la longueur des chapeaux coniques, les Nobles glissent et semblent paradoxalement légers quoique somptueusement et lourdement revêtus dune stratification inouïe de " sur-peaux ". Ils dansent comme suspendus dans lair. Ils sefforcent de planer dun pied délicat et se soulèvent à peine au-dessus du sol. Mais ceux-là flottent à la discrétion de tous.
Nonobstant lapparat, lépaisseur des artifices vestimentaires nexclut pas les transports toniques, dorigine agraire et dordre extraverti, que lon désigne communément sous le vocable de danse haute.
Cette danse enlevée procède dun habillement dont la vogue diverge de la précédente. Aussi résulte-t-elle dun sens profond de léconomie dans la mise.
Au Quattrocento, à la différence de la mode française surchargée, les costumes italiens beaucoup plus légers autorisent une prestesse fluide et plus audacieuse. Le corps dansant sélance avec confiance vers une pratique de plus en plus spectaculaire.
Inspiré du drapé antique gréco-romain, tourné à la Botticelli, le vêtement féminin du XVe siècle en Italie présente des modèles de tuniques courtes, de robes fines pincées sous la poitrine. Ces toilettes permettent à la colonne vertébrale de plus amples torsions latérales et longitudinales, donnant au buste les moyens de pivoter, de spiraler le mouvement. Auprès delles, les hommes portent des chausses, sortes de collants renforcés aux pieds ; ils shabillent de chemises recouvertes dune chasuble sarrêtant aux cuisses, laissant libres larticulation du genou et le travail des hanches. Il va sans dire quen sadonnant aux joies dune danse de plus en plus soutenue, ces effets engageaient les danseurs à fortifier leur musculature.
Grâce à la sobriété des habits, la première Renaissance, florentine, milanaise, instaurait donc les prémices dune danse haute. Cette tendance favorisait les tours et les sauts : prouesses que la morale catholique française prohibait. Au Royaume de France, les règles de la bonne conduite réprimaient les cabrioles et autres gaillardes déclenchant la fièvre, les étourdissements et parfois la syncope des dames engoncées. Aussi les voltes par lesquelles les jupes soulevées dévoilaient la jambe, étaient-elles jugées fort incorrectes.
Pourtant en 1393 à la Cour parisienne du Roi Charles VI, dit Le Fou, une euphorisante moresque endiablée, le Bal des Ardents, se jouait à lHôtel Saint-Paul sous les torches. Sadonnant à la démesure, le monarque et quelques compagnons de jeu sétaient déguisés en hommes sauvages, ou " momons ", vêtus dun costume de poils empoissés. Le délire était complet. Dans lesprit des courtisans, le simulacre dexorcisme (sous-tendu par ce travestissement dansé) eût conduit à la guérison du suzerain si la fête neût viré tragiquement à lincendie. La démence du pauvre rescapé fut a posteriori accentuée.
Au XVIe siècle, la mouvance virtuose (décelée en Italie au XVe siècle) est entravée par le maniérisme qui polisse les corps, et qui dailleurs les raidit. A linverse des années 1400, le costume en usage durant la seconde Renaissance des années 1500 devient plus appuyé, empesé ; il salourdit. Virilement, les hommes bombent leur torse grâce aux pourpoints rigides qui rappellent quelque cuirasse ancienne ; et quoique leurs jambes demeurent libres, gainées de hauts de chausses et surmontées de trousses gonflantes, la cape et lépée du gentilhomme font obstacle à toute course. Quant à la partie supérieure du corps, une fraise que prolonge une coiffe emprisonnent cou et tête lun à lautre soudés.
Les femmes, elles aussi, paraissent circonscrites, enveloppées par dimposants atours, robes dont les revers mordent le plancher. Elles endossent toujours des parures en tapisserie : robe de dessous, robe de dessus, sans compter les lingeries, chemises fines, et jupons précieux. Elles dessinent une silhouette pyramidale, cernée dune collerette ou dune fraise unisexe, coquettement décorées de bijoux et de mouchoirs. Enfin leurs pieds se hissent au-dessus de talons, ce qui modifie lassiette naturelle.
Réfractaire à laustérité du règne dHenri II, la seconde moitié du XVIe siècle permet aux hommes, efféminés sous Henri III, de rivaliser avec les femmes ; on abuse de la montre : " Cet orgueil de la beauté physique, ce raffinement de lart de plaire, magnifiés par le costume, le XVIe siècle leur a donné le soutien de matériaux luxueux, étoffes riches et lourdes, broderies épaisses, bijoux somptueux, dentelles aériennes. Nulle époque, même le Grand Siècle, naura jeté sur lhomme décor plus précieux pour atteindre la perfection de la beauté humaine. " 3
Cette mode marquée par la profusion sophistiquée des vêtements et accessoires, accompagne lapparition dune kinesthésique inédite. De par la raideur intrinsèque aux tenues, empreinte de lidéologie ascétique du clergé espagnol, cette allure grave et pesante causée par lengoncement correspond à la sévérité de la Contre-Réforme. Alors, labandon des formes souples profite aux lignes droites. Dans un savant bouillonnement, le corps baleiné, ajusté, bien espagnolé, les jupes à vertugadin connotant aux " gardiens de vertu " les patins ou chaussures à haute semelle de bois ou de liège, les casaques, les conques voilent pudiquement les charmes trop pénétrants.
Ici et là, les chorégraphies que Balthazar de Beaujoyeulx compose à la Cour de la Reine-Mère, Catherine de Médicis, rayonnent de par la minutie des lignes humaines en circonvolution et la somptuosité. Combien de carrés, triangles et cercles, combien de lettres et figures géométriques démultipliées en 1581 dans le grand Ballet Comique de la Reine. Graphique, le corps singénie lettre. Parmi les déambulations solennelles de la Noblesse, hommes et femmes indifféremment mis en scène, quelques saltimbanques simmiscent afin dassumer les rôles acrobatiques de caractère. La chorégraphie des entrées fait à la pantomime et aux attractions de bateleurs une large part. Elle offre loccasion aux ballets princiers de senrichir en variété, en intrigues pittoresques, en mascarades colorées, en déguisements que sert lartisanat du vêtement.
Durant les années 1620-1630, lart du costume principalement représenté par Daniel Rabel dérive vers un style comico-burlesque. Dans un climat perpétuellement festif, le masque comporte une importance capitale quant aux trompes-loeil nécessaires au leurre. Personne névolue jamais sans cet accessoire saturnal.
Du point de vue scénique, la codification symbolique du costume facilite lintelligibilité de luvre. Ainsi pour tous, comme dans le Ballet des fées des forêts de Saint-Germain (1625), les habits en rondelles évoquent-ils des pièces de monnaie, renvoyant aux voleurs. Sous limpulsion du Duc de Nemours à partir de lannée 1621, les ballets mascarades à entrées développent " un sens du pittoresque et un souci dauthenticité dans lévocation exotique " 4. En effet, durant le XVIIe siècle, comme dans le Grand Bal de la douairière de Billebahaut (1626), lutilisation de la " fraise " fait référence à lancienne dynastie des Valois, connotant un air de courtisans surannés, démodés, dont on se moque et que lon parodie à la cantonnade avec la connivence de Louis XIII.
Nous conclurons en soulignant le fait que lexcentricité du costume relève souvent dune arrogance de ton et dune pluralité décriture : lacadémisme nest pas encore prononcé. Lexpressivité se donne libre cours jusquà ce quavec le temps et sous larbitrage monarchiste de Louis XIV, le vêtement ainsi que les éléments officiels de la belle danse naillent en se dogmatisant.
Nous constatons que depuis sa création par Louis XIV en 1669, lAcadémie Royale de Musique affiche à la face du monde une puissance dynastique quexhibe lapparat. Outre les mises en scène scénographiées à grand renfort de machinerie, un soin particulier est donné à la fabrication des costumes car, pour des raisons de propagande, le Pouvoir reconnaît limpact relatif au visuel et y décèle linstrument de toutes les fascinations. Du point de vue centralisateur, il sagit dintimider ; cest pourquoi cherche-t-on à impressionner lindividu en concentrant son attention sur un point focal. De grandioses tableaux vivants frontaux simpriment, structurés autour dun sujet dont la valeur est glorifiée. Lobjectif étant démerveiller, il en résulte une accentuation de la beauté plastique. Cette logique du spectacle se vérifie dans le temps à différentes époques. Depuis lépoque flamboyante des entremets, banquets-spectacles royaux et ducaux des XVe et XVIe siècles, le luxe des habits se mêlait à la richesse des festins et ensemble participaient au prestige des Grands impliqués sous le miroitement des apparences théâtralisées. Celles-ci permettaient aux convives-spectateurs de concevoir, souvent dans linfra-rationalité, limportance effective de la force en place. En substance, outre le faste, il est avéré que les parures et ornementations disposées dans le cadre scénique réfléchissent léthique du commanditaire et de ses artisans, la trahissant autant quelles la transportent. Le règne des Bourbons à cet égard, depuis Henri IV jusquà Louis-Philippe et le XIXe siècle, aiguiseront la théopoétique du corps glorieux, chérissant surtout limagerie des envols dorés habilement conduits dans un espace zénithal, rigidement détourés par larchitectonique théâtre à litalienne. Il nous suffit de rappeler quà loccasion du Grand Ballet de la Nuit en 1653, Louis XIV parut sous les traits du Roi-Soleil. Après lui, dans le sillage de sa légende, une généalogie de danseurs prestigieux transmettra la mémoire du " Dieu de la Danse ", rôle que déjà le monarque avait interprété lors du Ballet des Plaisirs. Effectivement, en 1655, le Grand Louis en personne endossait le " Génie de la Danse ". Un siècle plus tard en 1772, Gaétan Vestris qui devait à son tour figurer le mythique Phébus dans lentrée dApollon de Castor et Pollux chorégraphié par Noverre, laissa Maximilien Gardel incarner le personnage. Gardel lainé, brisant la tradition, refusa limmense perruque noire, le masque, limposant soleil de cuivre sur la poitrine, et dansa à visage découvert. Ce 21 janvier 1772, de par la vive blondeur du danseur, leffigie du feu roi fut donc pulvérisée ; car jusquà cette date, le souverain avait bel et bien su imposer à travers sa physionomie propre, la configuration du Dieu des Arts. Aussi, à partir de son physique, avait-il instauré une beauté dordre " ténébreuse " totalement paradoxale compte tenu dune représentation vraisemblable de la divinité olympique, rappelons-le, solaire et par conséquent, claire et rayonnante. En bref, rivalisant avec la noire chevelure du roi mythifié, le naturel blondoiement de Maximilien Gardel établit une plasticité sajustant certes mieux au lumineux Apollon.
Au XVIIIe siècle, les atours en plumes empanachent les ports de tête et induisent la raideur des nuques. De multiples coiffures à cimiers conditionnent autant lallure des courtisans que celle des danseurs. Lélégance de la Cour dépend en effet des nouveautés de lOpéra, mais réciproquement, ce qui séduit les Salons se retrouve à la scène. Les habits de bal déterminent les costumes de ballet. Or, ces somptueux affublements très lourds qui ne favorisent guère le mouvement ne lentravent pas pour autant ; ils canalisent plutôt son débit. Coiffes volumineuses, tonnelets recouverts de petites jupes appelées " rhingrave ", robes à panier, escarpins, éventails, masques, combinaisons deffets que lon croirait devoir condamner à limmobilité, catalysent un art du détail parfait, de la petite manière subtile, minutieuse, mignarde et raffinée. Cest la danse rococo, florissante sous la Régence et le règne de Louis XV.
Mais avant de progresser dans notre chronologie sur le vêtement et le mouvement, la danse professionnelle jusquen 1681 refusa leur place aux femmes. Nous en déduisons lexistence dun profond déséquilibre dont la chorégraphie des XVIIIe et XIXe siècles sen ressentit, et dont témoignent les imageries de " Dieu de la Danse " et d" Etoile ".
A partir de 1681, les danseuses de métier acquièrent un véritable droit de cité sur la scène de lOpéra. Dorénavant, celles-ci se chargent de donner vie aux personnages de leur sexe, rôles féminins qui depuis toujours (ou presque) avaient été assurés par des danseurs en travestis et bien entendu masqués. Cependant, nimaginons pas quaucune dentre elles jusquà 1681 ne sétait produisite devant un public, car : " des femmes professionnelles [avaient bel et bien] dansé dans des ballets au milieu du XVIIe siècle : en 1651 dans Les Fêtes de Bacchus, "la petite Mollier" fait une guenon (...) A partir de [La Raillerie en] 1659, les danseuses professionnelles figurent régulièrement dans les ballets. " 5 Lors des Plaisirs de lIle Enchantée en 1664 à Versailles, la vedette revient notamment à Thérèse, Marquise Du Parc, danseuse et comédienne rattachée à la Troupe de Molière. Officieusement, ces dernières existent. Puis en ce jour déterminant du 16 mai 1681, quand fut repris, adapté et réduit Le Triomphe de lAmour, ballet de cour alors non plus joué par des nobles mais exclusivement interprété par des danseurs et danseuses de métier, dont Mademoiselle La Fontaine, Le Triomphe de lAmour officialise ouvertement lexistence même de la danseuse professionnelle. Désormais, les ateliers de couture compteront avec lanatomie féminine.
Sil est exact quune certaine liberté vestimentaire était concédée aux artistes, un régime contraignant portait sur la codification incombant à chaque personnage.
Peintre ordinaire dHenri III, Jacques Patin représentait Mercure avec des ailes au talon. Sous Louis XIII, Daniel Rabel habillait de plumes ses lutins. Jean Bérain, costumier en titre de Louis XIV, assimilait linstance royale à la traîne. Les " rôles à baguette " renvoyaient irréversiblement aux fées ou magiciennes.
Le 5 mai 1726, sur la scène de lAcadémie, Anne de Camargo (1710-1770) fait son apparition et danse " de caprice " dans Les Caractères de la Danse de Jean-Féry Rebel sur une chorégraphie de Françoise Prévost. Elle se distingue parce quelle rivalise avec la technique des messieurs. Elle exécute de vivaces jetés-battus, des pas de basque dont la détente samplifie à mesure quelle raccourcit ses jupes aux alentours des années 1730. Si lampleur des robes à panier lui permet de développer un travail des jambes quinterdisaient auparavant les robes trop étroites du Siècle dOr, la surcharge engendrée par larmature de celles-ci appesantit irrévocablement le jeu de toutes ballerines. Comme elle montre ses chevilles de par lexcellence vive des ronds de jambe, sans jamais toutefois laisser entrapercevoir ses genoux, les normes de la pudeur exigent delle et de ses semblables quelles se munissent du " caleçon de précaution ", ancêtre du maillot ou collant.
En effet, la simplification du costume et le raccourcissement des robes procèdent dun approfondissement de la technique, et inversement. Le désir détendre un art saltatoire toujours plus habile, daccroître le potentiel du corps, ce désir accélère la réforme du vêtement de scène.
Avec Boquet, dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, il sagit moins daffirmer sa dextérité gracieuse plutôt que dincarner une image qui soit en accord avec lintrigue. Sous la vogue du Ballet à thème (ballet dordre réaliste), comme La Chercheuse desprit, ou comme Ninette à la Cour, paysanneries chorégraphiées en 1778 par Maximilien Gardel, sous lengouement pour le ballet mélodramatique comme Le Déserteur composé en 1786 par les frères Gardel, la prégnance dramaturgique impose aux maîtres de ballet denvisager une nouvelle corporéité. Avant que Noverre neût exhorté les professionnels de la danse à quitter leurs masques, à se défaire des perruques énormes et des coiffes gigantesques, à secouer lusage des paniers, Marie Sallé (1707-1756) déjà, alors invitée à Covent Garden en 1734, avait sensiblement démontré le besoin dopérer cette métamorphose.
Pionnière incontestée, Marie Sallé paraît en 1729 dans Les Caractères de la Danse aux côtés de Laval son partenaire, lequel danse sans être paré du traditionnel masque viril. Cette entorse à la convention du paraître fera date. En 1734, dans le ballet sans parole Pygmalion quelle crée, quand elle savance sans panier, sans jupe, sans bustier, échevelée, avec seulement un corset, un jupon sous une simple robe en mousseline drapée dans le style antique, sa visée consiste-t-elle à seulement contenter les plaisirs de la chair goûtée dun regard libertin ? Sa recherche nintroduit-elle pas au souci dadéquation formelle entre le référent et sa représentation ? Ne participe-t-elle pas de lhumanisme des Encyclopédistes quand elle tente, sous le fard, de découvrir lhomme vrai, sous le déguisement la personne individuelle ? Doù la nécessité éprouvée de se débarrasser des entraves à lexpression, comme celle du " loup ".
Effectivement, le XVIIIe est le siècle du travesti, de lérotisme ; il est aussi celui des Lumières qui questionnent les états essentiels du genre humain afin datteindre à létat de Nature : lenfance, et à létat de Liberté : la citoyenneté. On réutilise à cet effet le registre gréco-romain, ce qui conduit à réadopter iconographiquement le nu, du moins le quasi-dénudement. Métaphoriquement, au-delà de la nudité profilée, au moyen de lépiderme, lartiste semble sonder une présence ancienne, une vérité qui jamais ne se ride.
A la fin de lAncien Régime, une tendance sentimentaliste traverse la France et influence toute lEurope. Cette impulsion préromantique est sensible dans le registre larmoyant des comédies rustiques. Cette tendance est reconnaissable dans les ballets daction de type bergeries ou paysanneries comme La Fille mal gardée (1789) de Jean Dauberval. Leur mise et leurs attitudes témoignent dune envie de décontraction et de " négligé ". A partir de 1781, Marie-Antoinette arbore la robe faite dune seule pièce, la chemise à la reine, très décolletée tombant droit, avec un haut falbala au bas de la jupe, en coton blanc ou en gaze transparente. A travers elle au sein de la Cour, cette coquetterie traduit la quête dune existence à la fois plus saine et plus simple. Cest la raison pour laquelle dans La Chercheuse dEsprit, ballet-pantomime de Maximilien Gardel en 1777, la charmante et pastorale Madeleine Guimard (1743-1816) nhésite pas à chausser les souliers plats, à revêtir sur sa chemise le corset lacé en y fixant même un tablier de paysanne, à superposer la jupe courte sur plusieurs jupons, à décorer sa poitrine dune champêtre fleur.
Toutes deux formées par Françoise Prévost (1680-1741) à la danse noble et théâtrale de la fin du XVIIe siècle, La Camargo et Marie Sallé sefforcèrent de hisser le statut des danseuses au niveau du professionnalisme des danseurs. Aussi le costume réformé par leurs soins concoura-t-il à ce vaste projet.
Depuis longtemps, les hommes jouissaient dune aisance gestuelle supérieure à la leur ; la " sobriété " toute relative des habits masculins les avantageait nettement. Leur virtuosité frappait le public. Moins engoncés, plus légers, ils conquéraient les sphères ; leur succès reposait surtout sur leurs envolées fulgurantes qui les faisaient ressembler à de célestes créatures. Oui, en proportion, leurs pouvoirs délévation déterminaient leur gloire.
Quant à elles, les femmes se devaient satisfaire du défilé. Elles animaient les atours que les costumiers leur avaient confectionnées. Le plus souvent, celles-ci ponctuaient leurs apparitions en joignant aux lutins jeux de mine leurs coordinations raffinées de cou, de poignet, de cheville, de genou, de coude. Ce sont leurs mains et leur doigté qui retenaient ladmiration, avec les mouvements infaillibles du pied sur le bas de jambe que lallusive expressivité des sourires rendait spirituel. Jusquà la fin du XVIIIe siècle, la danseuse tolérait le cintre des corsets trop serrés, limmensité des jupes, lincommodité des coiffes. Mais dès les années 1770-1780, quand les danseurs eurent jeté définitivement le masque, quand on eut répudié la magnificence chère à la tradition lyrique, et quand les maîtres de ballet se laissèrent gagner par la formule du naturel que préconisaient les théâtres de boulevard, une libération du geste, encore très pantomimique, vit le jour. Aussi dans lEncyclopédie, les articles relatifs à la danse signés par Cahuzac influencèrent-ils en France la génération des années 1780-1800 (Noverre, Gardel, Dauberval), puis celle des Vigano et Angiolini en Italie et en Autriche.
Appliquant les principes de simplicité dans le vêtement, Nicolas Boquet épura le style rocaille. Il le rendit fonctionnel. Il sappropria lidée dun costume rationnel et allégea les silhouettes en ne conservant plus que les caractéristiques essentielles à la lisibilité du personnage. Le mirage de la " pantomime romaine " qui hantait les esprits enflammés par lintuition dun radical changement prochain, allait éclore durant la Révolution et lEmpire. Lors des insurrections de 1789-1793, la cocarde tricolore devait flotter à tout propos, revendiquant lemblématique parole engagée. La danse affublée du bleu, du blanc, du rouge signifiait lexpression dune masse qui avait recouvré une dignité utopique. Cette brocarde dont senorgueillissait le corps, revendiquait la Loi de la République.
Enfin, " Peu à peu, une réforme profonde sest opérée dans le domaine des décors et des costumes. Déjà Boquet avait réduit les "paniers", simplifié les ornements. Sous linfluence du retour à lantique prôné par David, le costume sallège considérablement " 6. En vue des processions triomphales, on réapprend à nouer le péplum ; lhabit se résume au simple maillot voilé par une tunique et aux chaussons dérivés des spartiates.
Durant le Directoire (1795-1799) et le Premier Empire (1800-1815), lélégance incline les citoyens, les Incroyables et Merveilleuses, à saffiner : on cultive une apparence longiligne ; on préfère la mode du pantalon serré dans les bottes, de la redingote ouverte sur un gilet croisé, des robes à taille haute doù les gorges exhalent. Cette mode vestimentaire apporte un regain deuphorie générale (La Dansomanie, en 1800 de Pierre Gardel). Elle exprime un sentiment de libération qui ne réapparaîtra vraiment que cent ans plus tard avec Isadora Duncan. Ladoption des sandalettes en tissu dispense une allure gracile ; elle modifie le sens de léquilibre. Laplomb du poids transite dès lors par la voûte plantaire que le sol épouse. Les osselets du pied bougent. Alors ceux-ci préparent-ils naturellement aux exercices de montée sur lextrémité du pied. Cette pratique dassouplissement anticipe sur la technique des pointes. Excitant de surcroît une vertigineuse et soudaine sensation de liberté, les repères traditionnels se transforment peu à peu. Il sensuit une modification de la relation de lêtre à lair médiatisée par le vêtement. Une nouvelle poésie du quotidien se fait jour. Il nous faut citer à cet égard lentreprise de Charles Didelot, et mentionner que du point de vue dune esthétique des corps éthérés, son uvre fut incontestablement déterminante pour le Ballet Romantique du XIXesiècle.
En 1796, dans Flore et Zéphire, le chorégraphe ordonne des voleries inédites. Il fixe (comme plus tard dans La Sylphide) des filins au corset des interprètes qui, ainsi, se propulsent dans le vide. Les danseurs suspendus du haut des cintres, avec le cas échéant, un mécanisme dailes accroché dans le dos, paraissent vaincre la pesanteur.
Alors quau début du XIXe siècle les danseurs (Vestris, Duport, Perrot) tourbillonnent avec étincelance, sachant maintenir un bel en-dehors et un solide alignement des vertèbres, utiles aux ressorts, la ballerine romantique quant à elle, se laisse porter à bout de bras, et sur les pointes consacre le rêve icarien. A travers elle, le mythe de lEtoile (ou dun idéal inaccessible, auparavant personnifié par les Rois et Reines de France) poursuit son empire.
Le concours du modernisme industriel, léclairage au gaz (Aladin ou la lampe merveilleuse en 1822, opéra-féerie de Nicolo Isouard), léclairage à lélectricité (Electra en 1849 de Paul Taglioni), édifient un onirisme qui assimile moins la danseuse à la princesse et la transfigure en déesse. Parée de pierreries, costumée de mousselines brodées dor, couronnée daigrettes cristallines, la ballerine délivre ses vaporeuses évolutions. Quand ses pieds flirtent avec lapesanteur, son inconséquence hypnotise les abonnés de lOpéra. Dans les coulisses ou dans les foyers du théâtre, les hommes daffaires en noir partent à la rencontre des demoiselles en blanc. A ce titre, luvre picturale de Hippolyte Marie-Félix Lucas (1854-1925) et celle de Jean Béraud (1849-1936) nous replongent sans conteste possible dans lambiance sucrée, entichée dexotisme orientalisant et " pompier ", de la Troisième République. Aussi la danse intéresse-t-elle moins que la danseuse. Dans les salons et les coulisses de lOpéra, le commerce du Ballet fleurit. Grâce au tutu, il se consolide. Ce diaphane uniforme, imaginé par Eugène Lami en 1832 daprès les robes de bal des années 1825, suscite un enthousiasme à lorigine du vedettariat quon lui connaît toujours.
A partir des années 1815-1818, la Restauration monarchique fait quon délaisse le cothurne grec. En revanche, le soulier de chevreau ou de toile à semelle souple est valorisé. Tandis quau Directoire, celui-ci remplaçait lescarpin afin daccroître chez lindividu la tonicité du jeu, grâce à lélasticité du pied mieux chaussé, la danse sélance symboliquement alerte, aux-devants des plus vastes horizons nouveaux, véhiculant lidée de progrès et de conquête.
Entre 1820 et 1830, le bout des chaussons (initialement mou) se renforce. Le chausson dit " à pointe " exalte la station debout. Or, à travers la " pointe ", cette exaltation de la verticalité focalise sur une seule et unique personne : la femme. Déifiée, celle-ci paraît surplomber le sol sans devoir bondir pour décoller, ainsi quen revanche sy doivent astreindre les danseurs. De là germe dans les mentalités du XIXe siècle la vision dun Eternel féminin ; et cest la ballerine qui incarne ce bel archétype. Aussi évanescente quune plume, la danseuse sur pointes magnifie lanatomie humaine. Elle délivre la chair et la dématérialise. Elle en donne limpression. Tel un héraut, la future Etoile diffuse un pouvoir que seules les femmes semblent détenir. En somme, leur miraculeux langage, sculpté par les pointes et le tutu, profile un avenir cristallisant la condition féminine où lépouse, la concubine, serait épargnée, où la gravité du réel jamais naurait prise sur leur corps (immatériel, immaculé). " Le retour des Bourbons remet en vogue la couleur blanche, celle du drapeau de la royauté ; cette vogue devait devenir fureur grâce à Marie Taglioni " 7... transfuge poétisé du fantôme de la Reine sacrifiée...
" La génération qui avait vibré aux hautaines mélancolies de Chateaubriand, aux tendres plaintes de Lamartine soffrit avec ferveur à la fascination de cette poétique féerie, qui semblait chercher dans le monde irréel du rêve la revanche ou la compensation dune réalité mesquine et décevante. " 8
Cependant, cette transparence désincarnée de la ballerine recelait en vérité une fâcheuse dérive. Derrière le thème de légèreté, nous ne saurions éluder un faisceau de connotations péjoratives relatives au statut social et à la respectabilité mêmes des danseuses du XIXe siècle. A tort ou à raison, leur ombre souvent ne dissimule-elle point une " demi-mondaine " surnommée " cocotte " ? Insidieusement aux regards des messieurs, la publicité fantasmagorique et tapageuse renforce limagerie dune femme-objet à qui ce monde dhommes daffaires refusent lessentiel : parole. Cette problématique semble transparaître dans Coppélia, ou la fille aux yeux démail à travers la rivalité qui oppose le mannequin à Swanilda. A la fois femme-soumise et, à ses yeux, femme en voie de saffranchir, en 1870 dans cette création, Arthur Saint-Léon pose limplicite dichotomie déchirant toute bourgeoise dalors. Appuyant le livret du ballet, les pointes, le corset et les jupons stigmatisent la mordante critique envers la société.
Le bustier de satin se plaçait sur une profusion de tarlatane, de gaze, de tulle, daccessoires floraux, de perles, de strass et de duvet. Des bas de soie ivoire couvraient les jambes jusquà lentrecuisse sous des trousses frémissantes. Fusant de la taille étranglée, la gorge pigeonnait plus ou moins sagement.
La Restauration avait réhabilité la mode de la femme-fleur, fleur de lys : le blanc de la robe en corolle et la chaussure rigide se substituaient au multicolore, au fourreau, à la sandale.
Cependant était impossible une réduction des potentialités gestuelles acquises. Autrefois, les manches montées supposaient de lartiste quil ne perfectionnât que ses mouvements de jambes. A présent, les fines bretelles ajoutées à la pâmoison des mains profilaient de nouveaux possibles pour les ports de bras. Malgré cela, la cage thoracique demeurait toujours comprimée.
Durant le Second Empire (1852-1870) qui accumulait draperie, jupons, crinolines, tours et faux cheveux, les talons hauts réapparurent tandis que le tutu raccourcissait. La technique des pointes se précisait ; sur les planches, elle accusait le cou-de-pied alors que sur le pavé, les talons seffilaient.
Durant la Troisième République, les maîtres de ballet post-romantiques accordaient moins de prix à la grâce quau brio. On mesurait la qualité dune uvre à la quantité des costumes (1880-1890). Mais à lorée de lépoque dite " décadente ", Coppélia (1870) devait échapper à cette passion pour la technique, car Giuseppina Bozzacchi (créatrice du rôle-titre) synthétisait lexemplarité du jeu dramaturgique dune Marie Taglioni dans La Sylphide (1832), la vivacité dune Fanny Elssler dans La Cachucha (1835), et la perfection dune Carlotta Grisi dans Giselle (1841).
Les premiers tutus romantiques étaient longs et sharmonisaient avec le style " ballonné ", chaste et moelleux, représentatif de lEcole française. Dinfinies pirouettes en attitude, les adages parsemés de glissades fondues et les arabesques habillaient lhéroïne. Puis, quand le tutu mi-long sarrêta au genou (1870-1880), le " taqueté " des danseuses afficha une excellence relevant plutôt de lEcole italienne. Les entrechats, les séries de petites batteries illustraient une technicité héritée des studios milanais gouvernés par Carlo Blasis. Simultanément au moment où les tulles se hérissent en forme de galette autour des hanches, parallèlement à la diffusion des revues du Music-Hall, cette virtuosité souvent gratuite se répand en Europe. Les critères de beauté poussent à travailler lendurance et surtout les pointes dacier. Provenant du machinisme italien, les ballets à grand spectacle comme Excelsior réglé par Luigi Manzotti en 1881, sont accueillis à Paris, à lEden Théâtre près de lOpéra. Linfluence agit rapidement. " On y vit dénormes masses de figurants et de ballerines, une grande diagonale de soixante danseuses en tutu, dont le geste en parfait synchronisme éblouit les spectateurs. On peut penser que les grands déploiements des girls du Music-Hall moderne, avec leur exacte discipline, sortent de ces spectacles.(...) La plupart des danseuses des spectacles de lEden ne rentrèrent pas en Italie, engagées les unes par lOpéra, les autres à Saint-Pétersbourg... telles Virginia Zucchi, la Cornalba, lAlgisi, Carlotta Brianza, Pierina Legnani. " 9 Par la suite, Le Lac des Cygnes (1895) de Marius Petipa exhibera avec arrogance les trente-deux fouettés de Pierina Legnani sous son tutu court académique, sous le duveteux et emplumé costume dOdile, le Cygne noir. Ses jambes expertes en pizzicati occuperont laire de jeu au même titre que celles des " marcheuses " de revue, ou autres pages en travestis.
" Ces "revues" [étaient] sauvées par la virtuosité des pirouettes sur pointes dElena Cornalba, le mime sensuel de Virginia Zucchi, ballerine terre à terre aux pointes dacier soutenues par les chaussons renforcés à la milanaise, et la précision militaire du corps de ballet en tutus raccourcis. " 10 Cependant leur faisait défaut cette âme, que Mallarmé évoquait à propos de Rosita Mauri (dans les Deux pigeons de Louis Mérante en 1886) quand il décrivait ce frémissement dans les jupes simulant une impatience de plume qui se fût envolée vers lidée...
Mais de Russie proviendrait la régénérescence de la danse du Ballet classique, tandis que dAmérique surviendrait le renouvellement des codes chorégraphiques telle quen témoigne à ce jour la danse moderne.
Le 22 décembre 1907 à Saint-Pétersbourg, Anna Pavlova (1881-1931) fantasmagorique, danse, élégiaque, La Mort du Cygne, solo que Michel Fokine lui composa sur une partition de Camille Saint-Sæns.
Elle se maintient : " durant des phrases entières sur les pointes, cest par de flexibles ondulations de bras, par un trille léger des hanches que lartiste traduit la nage silencieuse, lintérieure palpitation du plumage ; puis brusquement, mais sans choc, abattue à terre, le plongeon, la remontée, lalanguissement inquiet, enfin, repliée sur elle-même, la défaillance jusquà ce dernier geste dune mort pudique cachant la tête sous le bras pareil à une aile. Mouvements si justes que vraiment ils rendaient superflu lappendice de ces petites ailes superposées à la jupe de danse. Cest par la danse seule et ses analogies que le sujet est traité, cest à la danse seule non aux costumes, que nous étions attentifs ". 11 Malgré la beauté de sa facture, il semble que laspect descriptif du tutu créé par Léon Bakst soit inutile ; léloquence de linterprète suffit à émouvoir.
... la jupe à paillettes, les ailes blanches adjacentes, les plumes éparses, la couronne... " Tout son col secouera cette blanche agonie. " (Mallarmé)
" Exécutée par Pavlova, La Mort du Cygne nest plus une "variation" de ballet, impeccable quant à son interprétation technique ; encore moins est-elle une image réaliste : cest une élégie de la fatalité et de la mort, cest un drame de lâme, poétisé par le seul et unique moyen de la danse. (...) Avant tout, elle frappait par sa danse, dont la légèreté était sans égale. On na jamais vu un "ballon", ni une "élévation", ni un "saut" comme les siens. Ailée, éphémère, transparente comme un spectre, elle semblait une vision de conte de fées. Ses vastes envolées la ravissaient à la terre au mépris de toutes les lois physiques. Ses longs bras admirablement proportionnés lui permettent des mouvements plastiques, amples et libres, toujours coordonnés avec ceux du corps. Ses jambes remarquablement modelées reposent sur des chevilles dont la finesse égale la force ; son cou-de-pied saillant fait la beauté de ses pointes. Son corps garde toujours une souplesse et une docilité remarquables.
Voilà pour les dons physiques de cette danseuse. La particularité spéciale de son talent est cette espèce dimmatérialité qui semble la détacher de tout ce qui a rapport à la terre. Et cette particularité a déterminé son orientation vers le Romantisme ". 12 Telle nous est parvenue la magnificence de lEtoile, nommée en 1906 prima ballerina.
Certes : " la renommée de Pavlova se confond avec la légende du Cygne, symbole essentiellement poétique de lâme exilée ici-bas (...) le folklore russe ne nous conte-t-il pas la fable de la tsarevna enchantée, métamorphosée en Cygne ?
La Pavlova, princesse-cygne, dessine rêveusement de lents cercles sur les deux pointes, les mains croisées sur la tunique emplumée. Mue par londoiement harmonieux des bras, elle glisse vers le fond de la scène (...). Prête à senvoler, elle ouvre les bras, se dresse et se tend, comme au bord dun gouffre aérien, en une attitude suprême. Mais voilà que sa taille ploie douloureusement, les bras collés au corps sincurvent et se raidissent en un réflexe tourmenté de défense et dangoisse ; le bref piétinement des pointes, accéléré et énervé par linquiétude, la porte en descendant jusquà la rampe, le dos travaille et sarrondit sous le faix qui laccable, la tête sincline, inerte, et, portant en avant, à plat, la jambe au cou-de-pied héroïquement cambré, ployant lautre genou, elle se dispose à accepter la mort (...) déchirante. " 13
La poésie du geste se déploie. Elle sait insister sur le vécu du mouvement. En hommage à la Taglioni, sa fluidité et sa délicatesse permettent aux Sylphides de Fokine (1909) de triompher à Paris. Comme lexprime André Levinson, il émane delle un tourment romantique de lau-delà, une angoisse métaphysique et une séraphique béatitude. Mais lorsquen 1910 Diaghilev lui proposa LOiseau de feu, elle décline linvitation et se refuse au modernisme.
Depuis 1908, on sévertue à substituer au juponnage la ligne droite. La silhouette féminine délaisse les poitrines projetées en avant, les croupes rejetées en arrière. Les femmes préfèrent à la taille pincée et aux hanches saillantes lallure élancée : " cest en 1910 que se produisit la véritable révolution du costume féminin qui eut pour origine les délires denthousiasme suscités par les Ballets Russes de Diaghilev. " 14 Une vague dorientalisme submerge la capitale de lélégance émérite, et, sinspirant des costumes de Léon Bakst, le couturier Paul Poiret sonne le glas aux toilettes invariablement colorées de rose fané et de mauves tendres. " Les bustes corsetés et les jupes cloches cédèrent la place à des toilettes fluides agrémentées de plis ou de drapés légers. " 15 Les couleurs flamboyantes précipitant le passage dun siècle à lautre, léclat du folklore slave enivrent les esprits assoiffés démancipation.
Loiseau de feu, merveilleux, tout dor et de flamme, aux magiques plumes scintillantes, balaye de façon impérieuse le tendre cygne immaculé.
Face au refus dAnna Pavlova, Tamara Karsavina (1885-1978) hérite du rôle dont lincomparable costume, conçu par Léon Bakst, est une révélation pour les esthètes de la Belle Epoque. En effet, par lentremise des milieux de la couture conjugués à ceux des Arts et des Lettres, son influence est telle que le chatoiement brutal bouleverse lancienne palette aux nuances éteintes quaffectionnaient jusqualors les dames compassées.
Comme au temps passé où les femmes prétendaient à se coiffer à la " Sylphide " avec deux bandeaux lissés symétriquement, après LOiseau de feu, les élégantes réclament des turbans lamés, des robes rehaussées de pierreries et de fourrures à lorientale.
" Si Anna Pavlova, immatérielle, semble échapper aux lois de la pesanteur, tranchant par sa sveltesse extrême avec les canons esthétiques du temps, elle saccommode peu avec (...) lexquise Tamara Karsavina, qui joint à son émouvante beauté un rare pouvoir expressif " 16. Durant les années 1900-1910, les murs qui tendent à se débrider provoquent lapparition dune sensibilité dionysiaque, que loue sans tarir déloges Isadora Duncan, prêtresse dune danse libre visionnaire.
En conclusion, nous pensons devoir évoquer les relations de cause à effet unissant les corps costumés et leurs décors. " Dans une société qui cultive lart de vivre, le spectacle est un songe éveillé où volent chars et nuées, où changent tout soudain les décors dillusion. Masqué, empanaché, richement paré, le danseur, semblant échapper aux contraintes terrestres, règne sans partage sur un monde féerique, parfois incohérent " 17
Parmi les plus prestigieux danseurs professionnels, citons lillustre Louis Dupré (1690-1774). Il fut le premier à recevoir le titre du " Dieu de la danse ". Par la suite, lhonorifique dénomination fut remise aux Vestris, père et fils, Gaëtan (1729-1808) puis Auguste (1760-1842).
Jusquen 1610, la tradition scénique voulait que les divertissements royaux se déroulassent de plain-pied avec lassistance. Puis, à la fin du règne de Louis XIII, et sous la pression de Richelieu, la danse noble se métamorphosa quand elle échappa au cadre des salons. Avec la surélévation du plancher qui conduisit les danses curiales à transformer leur technique, dès lors quelle déplaça ses finalités poétiques sur la quête dune technicité et dune expressivité de plus en plus convaincantes, la belle danse française accèda progressivement au statut dune pratique artistique. Certes, dès quelle fut hissée sur son socle, la scène, elle perdit son caractère de précieuse distraction réservée à lélite.
Dans la mesure où, depuis la fin du XVIe siècle et le début du XVIIe (ses origines), la danse de Cour sexécutait sur un plan horizontal, Georges Arout explique quon ne se souciait pas ou très peu de la prouesse individuelle : " Le roi et ses courtisans, malgré leur attachement à ce divertissement où lélégance primait linspiration, auraient été bien en peine, sans entraînement et dans de lourds costumes dapparat, dexécuter dautres exercices que des pas plus ou moins minutieusement réglés et entrecoupés de saluts et de révérences.
En même temps que la danse va échapper aux amateurs princiers, le spectacle va abandonner le cadre des salles de palais pour élire celui des théâtres.
Changement doptique qui déterminera un changement de technique. A la danse horizontale va se substituer la danse délévation que le spectateur suivra non plus de haut, mais de face. " 18
A cet égard, Pierre Michaut explique que cest frontalement et conformément à la perspective cavalière que " Les mouvements des bras, des genoux, les temps sautés et battus et bientôt les figures délévation devront (...) être vus " 19.
Or, quand se poseront les problèmes essentiels liés à la délimitation de lespace théâtral, alors même que la chorégraphie des Ballets de Cour originellement planimétrique, était " Conçue, ainsi que le précise Marie-Françoise Christout, pour être vue de façon plongeante par les spectateurs placés le long des gradins élevés sur trois côtés de la salle " 20, la chorégraphie deviendra stéréométrique quand les danseurs quitteront le parterre et les salons pour monter sur les scènes du théâtre à litalienne. " Vue de face, [cette étendue] accentue la symétrie des ensembles. Pas et ports de bras se combinent avec une rigueur accrue. Le travail des sauts, de la batterie, le développement de len-dehors, de len-dedans réservé aux rôles de caractères exigent une solide formation technique de base " 21 qui, bien sûr, fait défaut aux courtisans et peut décourager les dilettantes. Parce quils " briguent par vanité ou intérêt lhonneur de paraître dans les ballets et peuvent commander à Henry de Gissey des habits somptueux " 22, ceux-ci embarrassent les danseurs et chorégraphes professionnels, car, peu adapté aux exercices de virtuosité, " le costume de scène est généralement exécuté dans des tissus coûteux, ornés de passementeries et de pierreries selon le caractère du rôle. Le plus souvent il épouse les lignes du corps, dégage la jambe. La jupe sallonge au genou pour les travestis, au sol pour les danseuses ; Mlle du Parc fend la sienne et attache ses bas à sa culotte bouffante, ancêtre du maillot. Le ballet étant une comédie muette, le costume doit aider le danseur à incarner un personnage et suppléer éventuellement à ses défaillances expressives ; il comporte des accessoires parfois encombrants, fourche, torche, rame... Limagination la plus originale peut ici se donner libre cours, en tenant compte toutefois de certaines conventions : plumes pour les Indiens dAmérique (...) [lorsque] Les démons portent détranges ailes dentelées (...). Si les danseuses sont démasquées, les danseurs conservent obligatoirement le masque, coutume qui se prolongera longtemps. " 23
Comme nous lenseigne Germaine Prudhommeau, tandis quauparavant le plateau ne comportait que de rares éléments décoratifs choisis et animés par un ou deux personnages, à partir du moment où Richelieu aménage une salle à litalienne en 1638, la professionnalisation sopère irrésistiblement. Oui, cest de par la modification du cadre scénique et linterdiction en 1641, lors du Ballet de la Prospérité des Armes de France, daller et de venir indifféremment de la scène à la salle, " que laction tendra à refluer " 24 sur les planches. A ce moment décisif commence bel et bien la transformation de la danse qui, devenant théâtrale, constitue lapanage des baladins. La chorégraphie simplante donc sur ce plateau dont les dimensions augmentent en tous sens : " Lévolution [se faisant de] par le développement de la scène " 25, avec le théâtre dillusion, la profondeur de champ, lespace scénique nettement distinct de lespace public conduisent le spectateur à voir le spectacle en contre-plongée légère. Dès lors, laxe vertical offert en vis-à-vis du public prend un prodigieux essor. Et si le cadre de scène souvre en proportion de lagrandissement du plateau, le mouvement dansé samplifie également en proportion du costume qui, pour les femmes habillées de robes à panier, sélargit au niveau des jupes ce qui favorise, on ladmettra, les jeux de jambes, dégagés, battements, et pas courus notamment.
Comme le remarque Pierre Michaut, la danse se raffine et démultiplie ses difficultés : " Aux "figures" tracées virtuellement sur le plancher de la salle, se superpose une "exécution" développée dans lespace. Les "pas" sélaborent, se diversifient ; lampleur du mouvement augmente. Le jeu complexe des gestes et mouvements complémentaires (compensateurs ou antagonistes) de la tête, du buste, ou des bras se précise, séquilibre, sépure, compliquant et perfectionnant la configuration des "pas" dans lespace. En même temps len-dehors, principe déquilibre, qui "place" les pieds, les genoux et les cuisses du danseur ouverts et tournés, développe le bond. Joint au plié, len-dehors va donner lessor aux temps sautés, à la batterie, à la pirouette.(...) Après la représentation "planimétrique", on recherchait et on recherche encore la représentation "stéréographique". La danse et le ballet sont transformés. " 26 Et le costume alors répond aux contraintes que lui dicte son nouvel écrin.
Sous la férule des rivalités, le dévorant souci de dépassement inaugure chez les artistes un jeu ascensionnel. Cest ainsi que la " compétition de ces virtuoses permit délaborer les méthodes, de préciser et daccroître les éléments de la gymnastique saltatoire, de perfectionner le dessin des pas avec le souci de lharmonie plastique du geste et des lignes. La conquête de lélévation, (...) va conduire la danse vers les épanouissements prochains de la période romantique et de la période moderne. " 27
Certes, plutôt que de flatter lorgueil narcissique des Seigneurs, conformés aux vues et idéaux monarchistes, la fonction du costume est désormais davantager les qualités des interprètes.
Evidemment, avec les créations en 1661 de lAcadémie Royale de Danse, puis en 1669 de lAcadémie Royale de Musique, la danse se professionnalise. Elle aiguise ses bases et les rend plus virtuoses. Loptique et les objectifs se modifient en fonction dune recherche des effets grandioses. Puisque la costumation guindée et trop serrée rendait impossible le travail des plus petits rouages du corps, et, comme lobserve Germaine Prudhommeau, puisque les danseurs engoncés ne peuvaient rivaliser sur la technique elle-même, les hommes et les femmes surtout raffinent à lextrême lexécution du détail. Par conséquent, la danse du XVIIIe siècle accentue les mouvements de bras et ceux des genoux ; elle perfectionne les temps sautés et battus. Aussi privilégie-t-elle la prouesse et lélévation au détriment des figures. En outre, la construction dun lieu théâtral spécifique suppléée par la constitution dun Corps de Ballet professionnel rassemblé sous la gouverne des deux Académies (1661 ; 1669-1672) favorisent progressivement le triomphe du brio.
A la fin du XVIIe siècle, lère des virtuoses " rococos " sonne donc dès linstant où le Ballet Lyrique occupe les devants de la scène. Selon Pierre Rameau, 28 au début du XVIIIe siècle, Louis Pécourt (1653-1729) remplissait " toutes sortes de rôles avec grâce, justesse et légèreté ". Quant à Nicolas Blondy (1675-1739), celui-ci était regardé comme étant " le plus grand danseur dEurope pour la danse haute ". En ce qui concerne Claude Balon (1676-1739), celui-là fut remarqué de par son goût exquis et sa légèreté légendaire. Mettant laccent sur le thème solaire dune danse brillante (" haute ") éthérée (" légère "), Pierre Rameau rappelle que le coordinateur de toute cette noble observance était Pierre Beauchamp. Alors que Beauchamp (1631-1705) " savant et recherché dans la composition " boudait les rôles expressifs, Lulli (1632-1687) quant à lui se réservait plutôt les entrées daction.
Répétons-le, il semble quinitialement les rôles féminins soient exécutés par des hommes en travestis. Dans Thésée en 1675, les sieurs Noblet et Pécourt interprétent six prêtresses dansantes. Grâce à Pierre Beauchamp à qui nous devons aujourdhui cette réforme, cest du temps de la Tragédie-Ballet naissante (durant les décennies 1670-1680) que date lapparition des premières danseuses professionnelles.
A loccasion de la reprise du Triomphe de lAmour le 16 mai 1681, un Corps de Ballet féminin officiel figure à lAcadémie Royale de Musique. Parmi les plus célèbres, Mlle La Fontaine (1655-1738) bénéficie du titre de " Reine de la danse ". Suprême honneur en ce monde dominé par le sexe fort, son succès est tel quon lautorise à composer seule ses entrées. Lui succèdent Mlle de Subligny (1666-1735), première à ouvrir une carrière internationale en dansant à Londres en 1701 ; puis Françoise Prévost (1680-1741), artiste accomplie et professeur des légendaires Camargo et Sallé. Bien que du point de vue dune pratique professionnelle, la danse féminine ne survienne sensiblement quà partir de 1659 dans le Ballet de la Raillerie, celle-ci, qui depuis toujours a existé dun point de vue amateur ou semi-professionnel, ne saurait toutefois rivaliser avec la danse masculine.
Les évolutions des danseurs sont freinées par lencombrement des vêtements trop lourds, peu propices aux mouvements amples. Dans une lignée prédéfinie par Henry de Gissey, somptueusement élaborés par Jean Bérain (1638-1711), les tenues de Cour ou de ville sont empanachées, ornementées. Celles-ci entravent les membres, engoncent le buste et alourdissent le poids du corps. Par conséquent, les femmes surtout négligent le travail de l en-dehors, censé faciliter une danse que lon aime vivace et enlevée. Souffrant des corsets, le souffle leur manque. Moins endurantes que leurs partenaires, elles subissent la surcharge des jupes à panier immense qui créent entre les corps une barrière infranchissable ; pour elles, les coiffes, le masque, les escarpins sont autant de contraintes à surmonter.
Peu après la mort du Roi-Soleil, le 1er septembre 1715, les notions de confort reprennent de limportance. Elles accélèrent le retour du vêtement fluide et léger ; chacun souhaite échapper à la pompe et au cérémoniel de Versailles. Paradoxalement, alors que vers 1705-1715 se répand la robe volante, dite battante, aussi flottante quun vêtement dintérieur, simultanément reviennent les cerceaux. " Les lignes hautes des années précédentes étaient donc abandonnées au profit des effets de largeur. " 29 Le carcan reprend ses droits et cerne la partie fondamentalement motrice du corps : les jambes qui encore sont voilées.
Témoin dune société où la femme devient le pivot dune aristocratie urbaine, brillante et spirituelle, forte du climat de détente propre à la Régence, vers 1730, Marie-Anne Cupis de Camargo (1710-1770) affiche son indépendance desprit. Affranchie des critères conservateurs de la Cour, libre de toute étiquette, elle raccourcit sa robe, et révèle la dextérité de ses pieds. Quand elle bat lentrechat 4, elle rivalise en effet directement avec les hommes et suscite la comparaison. Peu après elle, en 1734, se débarrassant des multiples effets pour ne danser quen longue tunique de mousseline drapée, dite " à la grecque ", avec jupon et corset dans son ballet sans parole Pygmalion donné à Londres, Marie Sallé (1707-1756) nannonce-t-elle pas la vague danglomanie des année 1775-1780, rejetant la tyrannie du corps à baleine, préfigurant ainsi le culte de la nature ?
Formées à la pantomime par Françoise Prévost qui, avec Claude Balon en 1714 chez la duchesse du Maine au château de Sceaux, avait contribué au développement du ballet daction en adaptant chorégraphiquement Horace de Corneille, formées toutes deux à la pantomime disions-nous , la Camargo et la Sallé sefforcèrent leur vie durant dégaler la condition des partenaires hommes, danseurs simplement vêtus des tonnelets amidonnés et gansés tombant sur les cuisses.
A cause des costumes, la danseuse du XVIIIe siècle développe surtout ses mouvements de jambes, car les manches montées ne lui permettent pas de bouger les bras avec amplitude ; son buste étroitement gainé se refuse à toute action penchée ou tournée. Il en résulte donc une allure guindée. Dans la rubrique de lOpéra-Ballet, telle que luvre de Jean-Philippe Rameau (1683-1764) lillustre, la danseuse défile plus quelle ne danse. Quant aux Symphonies chorégraphiques créées par Jean-Féry Rebel (1661-1747), au-delà du formalisme mignard caractéristique, la Camargo sautorise en 1726 dans Les Caractères de la danse une danse de " caprice ", cest-à-dire improvisée, avec un talent confirmé. " Elle exécute daériens jetés-battus, des pas de basque, des prouesses réservées aux danseurs, notamment des sauts, raccourcissant sa jupe et portant un "caleçon de précaution". " 30 En 1729, toujours dans ce même divertissement dansé, Rebel fait évoluer Marie Sallé en tenue de ville.
Dans leur robe à la reine, outrageusement corsetées, en 1779, les Madeleine Guimard (1743-1816) et Marie Allard (1742-1802) dans un Pas de trois avec Jean Dauberval (1742-1806) affichent chacune la sobriété buccolique que chantent Jean-Jacques Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre. " Le goût pour une simplicité naturelle empreinte de classicisme, et la fascination grandissante pour lAntiquité, avivée par les fouilles dHerculanum et de Pompéi et par les voyages en Italie, stimulent cet engouement pour une robe dun blanc uni, confortable " 31 Lallègement des formes, laffinement de la ligne verticale produisent lavènement dune silhouette alerte, évocatrice dun style de vie plus informel.
A la différence des XVIIe et XVIIIe siècles, le XIXe siècle ajoute les ports de bras quoique le corps reste prisonnier du corset et les pieds soumis aux chaussons de pointes. Jusquà la Révolution, les danseurs et danseuses portent toujours des costumes dérivés des vêtements quotidiens. " Mlle Raucourt, dans le Pygmalion de J.-B. Rousseau, représente encore Galatée en robe à paniers... Ces emprunts réciproques que se font la cour et le théâtre sexpliquent par le fait que, sous Louis XV, cest Boquet qui travaille pour lOpéra comme pour les "Menus", cest-à-dire pour la cour, tandis que, sous Louis XVI, cest Sarrazin "costumier de Leurs Altesses Nos Seigneurs les Princes et directeur ordinaire du Salon du Colisée", qui dessine les modèles nouveaux. " 32
Sous le Directoire (1795-1799), les danseuses adoptent la robe à taille haute sans armature des Merveilleuses. Pour toute chaussure, elles enfilent des chaussons raffinés en tissus et aux talons quasi-inexistants, bas, tenant grâce aux rubans croisés sur la jambe. On peut considérer que la conception technique des chaussons-pointes sest déroulée durant la période impériale (1800-1815) ou peu après, avec la Restauration (1815). Effectivement, entre 1800 et 1832, la technique explose. Tout dabord, les pointes apparaissent en France dès avant 1818 avec Geneviève Gosselin (1791-1818). Presque simultanément, celles-ci se trouvent à Naples en Italie avant 1823 avec Amalia Brugnoli. Puis elles surviennent en Russie à Saint-Pétersbourg avec Avdotia Istomina. A la période romantique (1832-1870), le style français se constitue, héritier du style noble réglé durant le XVIIIe siècle.
Exigeant toujours les mêmes grâce et perfection, la danse romantique privilégie la traduction gestuelle du sentiment amoureux (doù la prééminence du pas-de-deux).
En 1796, dans Flore et Zéphire, le chorégraphe Charles Didelot (1767-1837) crée le premier adage homologué. A travers ses mouvements déliés et vaporeux, ladage exprime le stéréotype même dune femme fragile et évanescente. Le désir de légèreté renvoie à lidéal féminin diaphane et lui-même léger tel un duvet, sans consistance ni prise aux réalités des lois terrestres (morale, économie, etc.). Idéologiquement, cette poétique nentretient-elle pas une misogynie diffuse ?
A Milan, Carlo Blasis (1795-1878) perfectionne le style dit " ballonné " et perfectionne aussi l " attitude ".
Cette attirance pour les mondes immatériels, invisibles, éthérés, trouve sa transcription déjà dans la machinerie des " voleries ". A la fin du XVIIIe siècle, Charles Didelot met au point les envolées de soliste suspendu dans les airs au moyen du fil de laiton. Parallèlement, le fantasme du " vol " se révèle dans les escarpins à hauts talons telle quen chausse Marie-Antoinette pour le Bal à la Cour. Participant dun même désir (ouranien), lescarpin de danse oblige la ballerine à se hisser sur les demi-pointes voire sur les trois-quart de pointes. Digne héritière de lépoque précédente, la danseuse du XIXe siècle neffleure plus le sol que dun pas indifférent à la pesanteur. Ou bien perchée sur sa pointe, ou bien retenue par un filin, lattitude de Marie Taglioni dans La Sylphide (1832) ou bien celle de Carlotta Grisi dans Giselle (1841) cristallise limage de l " Etoile ", ou celle dune tendre jeune fille échappant aux lois terrestres.
Alors quun siècle auparavant Marie Sallé et Anne de Camargo avaient réformé lhabit scénique, alors que du temps de Noverre (1727-1810), Boquet avait réduit les " paniers " et allégé les costumes, au XIXe siècle, le peintre Eugène Lami songe à une nouvelle parure pour la femme : une robe de type " princesse ". A ce propos, Pierre Lartigue écrit qu " Avec La Sylphide (1832) et Giselle (1841), le fantôme de la monarchie disparue se dresse sur pointe " 33. De par sa blancheur irisée, le tutu romantique en gaze azuré figure la restauration du " lys royal ", et peut symboliser la revanche des monarchistes sur les républicains.
Etre aérien, la Sylphide voltige capricieusement sous le clair de lune que lui compose le décorateur Pierre Ciceri, avec son jeu dorgue et sa maîtrise de léclairage au gaz. Par ailleurs, à lActe II, dit " acte blanc ", les esprits voilés dans leur linceul (le tutu immaculé) sépuisent à force de danser leur amour impossible. Dans Giselle ou les Willis, les innombrables " glissades " conduisent lun vers lautre les amoureux. Les " arabesques " leur permettent dadresser les baisers. Les " attitudes " et " pirouettes " précipitent la disparition redoutée.
A linverse du jeu des danseuses, les danseurs quils soient Lucien Petipa (1815-1898) ou bien Jules Perrot (1810-1892) bondissent, tourbillonnent, exaltent en cascade leur virilité et, à grand renfort de " grands jetés en tournant ", imposent leur force et leur majesté. Toutefois, si La Sylphide avait fixé larchétype du ballet romantique, et si Giselle marquait tant son public au point de devenir le chef-duvre du genre, après elles, le ballet-pantomime magnifiera seulement et essentiellement limagerie de la ballerine.
Etoile de lOpéra, on la vante parce que celle-ci et son prestige fidélisent la clientèle masculine. Pour des raisons commerciales, ainsi que lécrit Marie-Françoise Christout, " Marie Taglioni a inauguré le règne de léternel féminin ", mais elle a ouvert " également lère néfaste des ballerines ". Déjà, en 1838 dans La Volière, Fanny Elssler (1810-1884) a pour partenaire sa sur en travesti. Résultant du courant virtuose dix-huitièmiste, la danse romantique justifie la suprématie des danseuses vedettes au détriment des danseurs. Finalement, ces derniers doivent accepter le statut de serviteurs-portant. Le vedettariat dont ils jouissaient au XVIIIe siècle et qui les poussait à jouer la concurrence, sest renversé en faveur de la danseuse du XIXe siècle. Parce quelle craint la puissance spectaculaire car athlétique de son rival, sa tactique est déconduire la superbe masculine en ne lui concédant plus que des rôles mineurs et grotesques. En 1870, Eugénie Fiocre interprète bellement le héros dans Coppélia, et consacre dans la hiérarchie de lOpéra, lintronisation des danseuses en travestis. " Eugénie Fiocre qui campe Franz suscite dailleurs de vibrantes extases : "Est-elle (jallais dire, est-il !), est-elle assez gracieuse avec ce costume qui fait valoir des formes quun statuaire chercherait longtemps !" peut-on lire sous la plume dun chroniqueur de lépoque. Dans son pantalon moulant, la femme travestie laisse apparaître des rondeurs que le tutu cache encore pudiquement. " 34 Pour trouver place auprès des tyranniques danseuses, les danseurs doivent excéler. Relégués au second plan, en disgrâce dans les rôles subalternes, leurs prouesses ne leur sont pardonnées que parce quelles permettent aux dames de reprendre haleine.
A lexemple de Thérèse Elssler (1808-1878) qui ne répugne pas à lambiguité androgynique, les ballerines se moulent dans des tenues promptes à réveiller la curiosité des messieurs. Aux yeux des abonnés de lOpéra, pantalon collant, veste et pelisse de hussards engendrent une confusion de genres entre jeunes femmes et jeunes éphèbes. Dans Les Deux Pigeons, donnés en 1886, Marie Sanlaville danse le rôle de Pepio en qualité de première danseuse en travesti. Comme du temps dEugénie Fiocre, Marie Sanlaville suscite les plus vibrantes extases auprès du public.
Psychologiquement flattés dans leur spéculative grandeur, enorgueillis par lidée dêtre les maîtres (ou propriétaires) du Foyer de la Danse, les ballétomanes ne peuvent ressentir la moindre jalousie à légard des scènes damour puisquaucun homme ne tient le rôle du prétendant (lequel étant interprété par une simple demoiselle déguisée en garçon). Du fait des travestissements de danseuses, lillusion chez les spectateurs dêtre les partenaires exclusifs de ces vedettes, " pages " ou " marcheuses " reste donc intacte.
Bien quil déplore la préférence du public pour la ballerine, Arthur Saint-Léon (1821-1870) est le chorégraphe qui pourtant courtise le plus la personne et la personnalité féminine dans ses ballets. Entre 1870 et 1909 en France, le phénomène saccroît.
Cependant, sous laction de Michel Fokine (1880-1942), les exhibitions sexistes, voire exclusivement saphistes, disparaissent peu à peu. Bien quen son temps, Marius Petipa (1818-1910) intercède auprès du Tzar afin de revaloriser le statut des danseurs, au point de les hisser dailleurs au rang des soldats de la Garde Militaire Impériale, quoiquil rééquilibre limportance dévolue tant aux jeux masculins que féminins, il revient à Fokine davoir accéléré la chute du culte de la vedette et davoir insufflé aux mouvements de groupe des intentions signifiantes, et non plus purement décoratives. Aussi convient-il de citer Les Danses polovtziennes du Pince Igor de Borodine (1909), autant pour la qualité des effets de masse que pour le caractère viril du solo dAdolphe Bolm (1884-1951) dans le rôle stupéfiant du chef des guerriers. De Saint-Pétersbourg, poursuivant lentreprise de Noverre, Michel Fokine réintroduit dans la danse pure, académique, la mimique corporelle, et rend sa valeur à la pantomime dansante. Concevant un style dinspiration hellénique dès 1905, dans le même état desprit quIsadora Duncan, quoique foncièrement classique, il participe à la rénovation de limage du corps dansant. Abandonnant lempire des cinq positions traditionnelles, explorant le déséquilibre dans sa sauvagerie, se nourrissant du fonds folklorique (Petrouchka, 1911), à sa suite, Waslaw Nijinsky (1890-1950) en entravant les tabous sexuels transfigure les modes gestuels. A cet égard, LAprès-midi dun Faune, créé en 1912, fut frappé dopprobre parce que linterprétation de Nijinsky avait été estimée bestiale par une partie de lassistance. Préalablement, une année avant la création du Faune, Nijinsky sétait fait congédier des Théâtres Impériaux parce quil était apparu dans Giselle en simple collant. Lexhibitionnisme pour lequel il fut renvoyé du Théâtre Mariinsky en 1911, fit à nouveau scandale à Paris en 1912. Néanmoins, les uvres de Fokine et de Nijinsky réconcilièrent la culture russe avec son patrimoine primitif. En 1913, dans le magistral Sacre du printemps, la mystique chamanique émane des décors, costumes et du livret conçus par Nicolas Rrich, libérant dinsoupçonnables forces. Ce chef-duvre va probablement démontrer aux défenseurs de la tradition classique la nécessité de prendre en considération le fait que la danse résulte dune intime relation de lêtre raisonnant à linvisible, en phase avec sa matérialité organique.
Au début du XXe siècle, à linverse dArthur Saint-Léon mais à linstar des créatrices américaines, les Russes refusent lexclusivité du langage académique. Grâce à la costumation de plus en plus fluide, de plus en plus propice aux mouvements ondulatoires, dans la mouvance des premières danseuses modernes comme Loïe Fuller (1862-1928), Isadora Duncan (1880-1968), Ruth Saint-Denis (1877-1968), ou Mary Wigman (1886-1973) et Martha Graham (1894-1991), les rénovateurs sous la férule de Diaghilev enrichirent le vocabulaire classique en y incluant des postures de types archaïques. Finalement, labandon des chaussons, des pointes jugées contre-nature, lusage des pieds nus et le rejet des juponnages greffés au tronc par des corsets comprimants, propulsèrent le corps souverainement libre et rendu à lui-même.
Valérie Folliot
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NOTES:
1 Geneviève Vincent, " La fin des années militantes ", in Pour la Danse, hors-série n° 165, " Les Années 80 en France ", 1990, p. 12.
2 Daniel Dobbels, " Le nu, réalité ou représentation ? ", in Art Press, hors-série n° 8, " Les années danse ", 1987, p. 40.
3 François Boucher, Histoire du Costume en Occident de lAntiquité à nos jours, Editions Flammarion, 1965, p. 219.
4 Marie-Françoise Christout, Histoire du Ballet, Editions P.U.F, Coll. " Que sais-je ? ", 1975, p. 17.
5 Germaine Prudhommeau, Histoire de la Danse, tome 2 : de la Renaissance à la Révolution, Editions Amphora, Coll. Sport et Connaissance, 1989, p. 149. (ouvrage revu et corrigé à paraître aux éditions La Recherche en Danse, début 1997).
6 Marie-Françoise Christout, ibidem, 1975, p. 46.
7 Martine Kahane, Opéra, côté costume, Editions Plume / S. N. A. B, Opéra National de Paris, 1995, p. 30.
8 Pierre Michaut, Histoire du Ballet, Editions Presses Universitaires de France, Coll. " Que sais-je ? ", 1945, p. 51. Lauteur ajoute en note de bas de page : " On retrouvera ce double plan de la destinée dans La Fille du Danube, La Bayadère, Giselle, Le Lac des Cygnes, [...] LOiseau de feu, [et] Coppélia. "
9 Pierre Michaut, op. cit., 1945, pp. 64-65.
10 Marie-Françoise Christout, Le Ballet occidental, naissance et métamorphoses : XVIe-XXe siècles, Editions Desjonquères, Coll. La mesure des choses, 1995, p. 83.
11 Louis Laloy, critique musical français, in Anna Pavlova, programme de la soirée du 12 mai 1928 au Théâtre des Champs-Elysées, Paris ; document disponible à la Bibliothèque de lOpéra National de Paris.
12 Cest en 1800 que lon trouve la plus ancienne mention du mot " arabesque " sappliquant à un pas. Jusqualors, ce mot désignait des lignes sinueuses comme en Arts Plastiques. En 1830, Carlo Blasis ne connaît le mot " arabesque " que sous sa signification de ligne sinueuse.
13 A Naples, Lady Blessington décrit Amalia Brugnoli traversant la scène sur lextrémité de ses pieds. Marie Taglioni la voit ensuite à Vienne en 1823 et note quelle apportait un genre nouveau, elle faisait des choses très extraordinaires sur la pointe du pied. A Saint-Pétersbourg Avdotia Istomina danse " tout à fait sur le bout de lorteil ".
14 James Laver, Histoire de la mode et du costume, Editions Thames & Hudson, Collection LUnivers de lArt, 1990, p. 222.
15 James Laver, Ibidem, p. 224.
16 Marie-Françoise Christout, op. cit., 1995, p. 109.
17 Marie-Françoise Christout, op. cit., 1995, p. 42.
18 Georges Arout, La Danse contemporaine, Editions Fernand Nathan, Paris, 1955, p. 28.
19 Pierre Michaut, Histoire du Ballet, Editions des Presses Universitaires de France, Coll. " Que sais-je ? ", 1945, p. 14.
20 Marie-Françoise Christout, Histoire du Ballet, Editions P.U.F, Coll. " Que sais-je ? ", 1975, p. 14.
21 Marie-Françoise Christout, Le Ballet occidental, naissance et métamorphoses XVIe-XXe siècles, Editions Desjonquères, Paris, 1995, pp. 30-31.
22 Marie-Françoise Christout, Ibidem.
23 Marie-Françoise Christout, Ibidem.
24 Germaine Prudhommeau, Histoire de la Danse tome II, De la Renaissance à la Révolution,Editions Amphora, Paris, 1989, p. 90.
25 Germaine Prudhommeau, Ibidem.
26 Pierre Michaut, Ibidem.
27 Pierre Michaut, Ibidem.
28 Pierre Rameau, Le Maître à danser, 1725.
29 James Laver, op. cit., p. 130.
30 Marie-Françoise Christout,1995, op. cit., p. 44.
31 Jacques Ruppert, Le Costume français, ouvrage collectif, Editions Flammarion, Collection Tout lArt Encyclopédie, 1996, p. 127.
32 François Boucher,1965, op. cit., p. 314.
33 Pierre Lartigue, " Supplément à lArt de la pointe ", in la Revue desthétique n° 22, 1992.
34 Jean-Pierre Pastori, Pierre Lacotte, Tradition, Editions Marcel Favre, Paris, 1987, p. 27.
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