Stravinski & Fokine : LOiseau de feu
Marie-Françoise Christout (1995)" En réalité, la seconde révélation de cette saison demeure LOiseau de feu, conte russe de
Fokine mis en musique par un jeune compositeur, Igor Stravinsky. Sollicitée pour le rôle
principal, Anna Pavlova juge la partition incompréhensible : elle laissa la création à Tamara
Karsavina, que Jacques-Emile Blanche a peinte dans léblouissant costume de Bakst en
parfait accord avec ces décors de Golovine qui plongent le critique Jean-Louis Vaudoyer
dans un bonheur extatique. Ladage et la berceuse de loiseau demeurent, musicalement et
chorégraphiquement, les sommets de luvre. Henri Ghéon avoue : "Quand loiseau passe,
cest la musique qui le porte ; Stravinsky, Fokine, Golovine je ne vois plus quun seul
auteur". La nouvelle compagnie est consacrée. Ces visions chatoyantes bouleversent les
arts décoratifs fondés précédemment sur les nuances éteintes. Les femmes se coiffent à
LOiseau de feu, réclamant au couturier Paul Poiret les turbans lamés, les robes rehaussées
de pierreries et de fourrures de Schéhérazade ou du Prince Igor. Une légende se crée autour
des danseurs.
Si Anna Pavlova, immatérielle, semble échapper aux lois de la pesanteur, tranchant par sa
sveltesse extrême avec les canons esthétiques du temps, elle saccommode peu avec lesprit
novateur et lautorité de Diaghilev ; elle prend rapidement sa liberté, et poursuivra à travers
le monde, jusquen 1929, une éblouissante carrière, diffusant notamment aux Etats-Unis le
prestige dun art incomparable sur le plan poétique. Plus ductile, lexquise Tamara Karsavina,
qui joint à son émouvante beauté un rare pouvoir expressif, possède lintelligence et la
faculté de sadapter aux rôles les plus divers. "Marie-Françoise Christout
Le Ballet occidental, naissance et métamorphoses (xvie xxe siècles)
Editions Desjonquères, Collection La mesure des choses, Paris, 1995, 109