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Introduction à une sémiologie de la danse

 

Toute identité se fonde dans une conception de la condition corporelle.

L’homme occidental exalte l’image de l’homo erectus comme le souligne Pierre Legendre. La danse et le ballet, par conséquent, cultivent cet imaginaire.

Notre objet sera donc de mettre en exergue en quoi l’art chorégraphique en Occident s’inspire d’une vision érectile de la nature humaine. Le concept de " Corps glorieux " constituera en l’occurrence le principal paradigme de cette étude. Aussi conviendra-t-il d’éclairer cette esthétique du geste à la lumière d’une théopoétique de la Beauté.

De par sa tradition hellénistique, la culture occidentale pose la corrélation du corps et de l’esprit comme philosophie première.

Dans la pensée judéo-chrétienne, quelle valeur le Corps comporte-t-il à l’égard de l’Esprit : que comprendre dans le Corps ? Comment interpréter en outre la valence de l’Esprit (cf. le Corps vécu comme un temple – comme Eucharistie) ? Enfin, quelles sont les influences qui traversent notre définition du Corps et de l’Esprit ?

Sous l’égide de l’Eglise, les systèmes de représentation de la personne s’inscrivent, pour une bonne part, dans les témoignages évangéliques et apostoliques de Saint Paul. Quelles idées du Corps et de l’Esprit retournent les textes pauliniens ? Dans quelle mesure les notions de Révélation et d’Illumination influencent-elles en partie la constitution d’une gestuelle éthérée ?

Pour tenter de répondre, il importe de connaître le parcours qui lie Paul à Jésus Christ. Rappelons seulement que la théologie paulinienne s’est forgée en regard du concept de " Corps glorieux " parce que l’apôtre avait fait l’expérience du Christ quand celui-ci était ressuscité.

Donc, point de création artistique indépendante d’une morale. L’enjeu de cette étude réside dans cette démonstration : nulle esthétique sans éthique. Avant que ne soit né le ballet occidental, le chrétien jouissait d’une poétique corporelle donnée au travers de l’iconographie religieuse. Ainsi, nous nous efforcerons de cerner les principaux thèmes mis en scène à l’église, dans la sphère cléricale. Quelle place est-il accordé aux épisodes de la Crucifixion, de la Nativité, de la Transfiguration, de la Cène, de la Mise en Gloire, etc., quelle place leur est-il accordé au fil de l’Histoire  ? Comprendre l’importance des chapitres de la vie de Jésus peut aider à discerner la spiritualité inhérente à la danse et relativiser la part de souffrance à la clé du métier de danseur.

 

 

 

En préliminaires, parler de la danse (ou du ballet) présuppose une réflexion sur le corps dansant : dans quel espace culturel évolue le sujet de l’étude ; à quelles références conscientes ou non répond le ballet de L’Oiseau de Feu (ballet créé le 25 juin 1910 à l’Opéra de Paris par Stravinsky et Fokine des Ballets Russes de Diaghilev) ; avec quelles traditions philosophiques les savoirs et pratiques chorégraphiques ont-ils à se débattre ; en quoi le dualisme cartésien qui oppose la Psyché et le Soma, a-t-il trouvé son écho dans l’élaboration d’une codification du geste dansé en Occident ; dans quelle mesure en outre le dualisme cartésien s’écarte-t-il de la pensée judéo-chrétienne paulinienne, attendu que l’apôtre affirme avec flamme la sacralité du corps en le qualifiant de " Temple " ; dans quelle mesure aussi la perspective aristotélicienne de l’âme vécue comme forme du corps organisé participe-t-elle d’une constitution de la " danse d’élévation ", centrale dans le Ballet occidental ? Notre étude s’appuyant sur ces questionnements, nous explorerons brièvement les ancrages culturels qui fondent la signifiance des arts kinésiques. Nous tenterons, de la sorte, d’envisager comme vraie l’hypothèse selon laquelle les gestes dansés résultent de systèmes sémiotiques polysémiques, c’est-à-dire ouverts à interprétation ; nous nous évertuerons à démontrer que la danse est constituée d’éléments langagiers inscrits dans le réel. Nous conclurons seulement en disant que la danse est avant tout un art qui échappe au tangible souvent, qu’elle est un langage sublimé, l’expression du sublime.

Rappeler que le corps qui danse affirme sa propre corporéité symbolique, teintée d’apports poético-sociaux, c’est mettre en exergue l’intentionnalité inhérente à l’existence même de l’acte dansé et du spectacle.

Il réside un avant et un après de l’événement chorégraphique, et ce tant pour l’ " exécutant ", le danseur que pour le " récepteur ", le public. En conséquence, le sémiologue s’efforcera de remonter les schémas signifiants, la chaîne des unités discrètes du discours corporel (s’il en est un). Cette sémiologie du corps qui danse évaluera l’épaisseur de la mémoire à l’aune de laquelle les artistes se mettent en jeu dans l’instant, aux prises avec le néant, avec l’horreur pour l’interprète de ne rien produire sur scène, d’être sans faire, en ne " jouissant " que de l’essence même du spectacle : le Temps – le Lieu privés d’Action, au mépris de toute bienséance, de toute vraisemblance situationnelle.

Insister sur le concept de " corps dansant " plutôt que sur le terme de " danse ", c’est accentuer l’idée que toute expression corporelle prend son enracinement élémentaire dans le vivant (cf. Martine Plannells et Jean-Claude Dieinis, " expression corporelle, Encyclopédie Bordas, 1994). C’est avouer la corporéité de l’acte dansé nonobstant ses aspirations de dépassement de soi, de transcendance. Ici développerons-nous l’esthétique du " Sublime " entendue en son sens précieux du XVIIe siècle (sublime désignait alors le " cerveau ", siège de la réflexion d’une part, et, d’autre part, le sublime était entendu en regard de la technique employée en danse classique, laquelle vise à reproduire ici et maintenant un idéal ouranien de la personne, un idéal de perfection corporelle affleurant l’idéal héroïque du sur-homme). Aussi s’agira-t-il tout spécifiquement en l’occurrence de " danse d’élévation ". Enfin retiendrons-nous notre réflexion sur le caractère noble de la danse occidentale, et ce dans la mesure où sont cultivées depuis ses origines médiévales les valeurs courtoises : valeurs de hauteur, de grandeur, d’élégance, de beauté, de grâce, d’harmonie, toujours travaillées dans les exercices quotidiens des danseurs classiques et des danseurs occidentaux en général, formés pour réaliser d’eux-mêmes des lignes galbes, épurées, formés pour se montrer toujours plus élancés, plus fins mais puissants, maîtres du monde, quasi tout puissants.

 

 

 

 

Cette instantanéité de l’éphémère, particulière au spectacle vivant, émeut d’autant plus qu’elle soulève par éclats le souvenir imparfait, interpelle l’intuition, ce qui toujours relie ou défait les échanges entre les individus. Le spectateur et le danseur (interprètes à double titre) sont donc invités à démêler, voire à décrypter, le conglomérat de sens qui se rattache à l’œuvre chorégraphique. Pour Monique David-Ménard (Encyclopédie Universalis, 1993, " corps "), en sémiologie, " le corps peut être décrit comme signe, ou agglomération de signes, ce qui le rapproche mais aussi le distingue du langage comme système de signes : il peut intervenir comme élément d’un matériel signifiant, sans constituer lui-même un ensemble structuré ". Cette définition épousant le rôle (ou fonction) du corps dansant mis en scène, quelles affinités entretient-il avec le corps actant de la scénographie puisque c’est par cette relation que le corps humain en acte signifie ?

 

En chorégraphie, chaque partie du tout vise une cohésion, celle du spectacle fini (ou articulé) selon une progression. Certes, le corps du danseur peut prévaloir sur les autres actants (éléments du décors, par exemple). Néanmoins, des liens hiérarchiques se tissent entre la chair et l’inerte. A cet égard, le corps dansant est réduit à l’état d’instrument, ainsi que le sont d’emblée les outils scénographiques (costumes, décors, lumière, son, musique, etc.). Sur scène, le danseur agit mais interagit en fonction de son environnement, de la mouvance audiovisuelle et physique. Dans la salle, le spectateur fait de même, mais par procuration, grâce aux pouvoirs de l’image, grâce à l’impact du tissu sonore. L’organisation du corps dansant dans sa contribution signifiante au spectacle prouve combien la danse et le ballet sont des langages, voire des discours. Pantomimiques ou non, narratifs ou abstraits, les arts chorégraphiques répondent au brûlant désir de " dire ", d’affirmer sa différence, son Nom. Or, bien que trop souvent dans les sociétés occidentales, le corps humain analysé relève essentiellement de la biologie ou de la physiologie, bien qu’en conséquence, sa matérialité vivante soit pensée de façon indépendante des représentations sociales, l’ensemble des Sciences humaines dont la Sémiologie, l’Esthétique et la Psychanalyse, donne accès à une meilleure compréhension de la valeur du corps en acte. Monique David-Ménard porte ici la lumière sur la réalité onirique ou spéculaire de la personne ; devenue personnage, elle s’appréhende en danse " comme fantasme, comme prétexte à des élaborations imaginaires, à des jeux inquiétants mais libres, de l’intérieur avec l’extérieur, comme le fait aussi la peinture contemporaine ". Cette connivence du corps avec ses multiples enveloppes, dont le costume, retiendra plus particulièrement notre présente étude.

 

Quant aux apports pour notre sujet de la Sémiologie du corps, Louis Marin invite à réfléchir sur le fait que dans sa signifiance propre, le corps (qui plus est " dansant ") est à la fois " le véhicule et l’instrument " (Encyclopédie Universalis, 1993). Aussi renchérit-il sur l’absence de sémiotique dans les conduites sociales ou rituelles (la politesse) du corps en insistant bien, ainsi que l’a fait Emile Benveniste, sur l ‘idée que le corps en art, surtout en chorégraphie, échappe au système sémiotique : " toute sémiotique du corps ne renvoie-t-elle pas à des systèmes à signifiance unidimensionnelle, soit sémiotique sans sémantique, (ainsi le corps ritualisé dans les gestes de la politesse), soit sémantique sans sémiotique (ainsi le corps exalté dans la gesticulation expressive de la danse) ? " Faisant référence aussi aux six fonctions du langage selon Roman Jakobson (expressive ou émotive, conative ou impérative, référentielle ou dénotative, métalinguistique ou liée au code, phatique ou liée au contact, esthétique ou liée au beau), Louis Marin fait remarquer que, peut-être, le corps est en soi sans volonté signifiante, car, dit-il, " réduire la signifiance du corps à la communication d’un message entre un destinateur et un destinataire " lui semble dangereux et vain parce qu’une recherche ontologique montrerait certainement qu’en amont du symbolisme des gestes, préexistent des besoins naturels liés à une finalité biologique première (par exemple, l’appel ou le rejet du sein chez le nourrisson préfigure l’affirmation et la négation en déclinant respectivement leur champ sémiotique).

 

D’un point de vue méthodologique, nous nous appliquerons à comprendre, notamment au travers de la robe et des atours de l’Oiseau de feu, pourquoi cette œuvre russe, ce ballet quasi slavophile (le thème s’ancre dans le folklore et la culture orale des contes populaires russes, cf. Afanassiev) ne déroge cependant pas à la sensibilité classique du ballet français, d’inspiration " louis-quatorzièmiste ". Pour poser d’emblée la corrélation des genres, appuyons notre recherche sur deux documents iconographiques, la peinture en pied représentant la ballerine Tamara Karsavina dans le rôle-titre de l’Oiseau de feu (peinte par Jacques-Emile Blanche en 1910) et le dessin figurant le Roi Soleil sous les traits d’Apollon, dans le Ballet Royal de la Nuit en 1653 (gouache exécutée par Stefano della Bella [1610-1664]). Ainsi, nous observons spécifiquement les récurrences formelles entre le costume de Léon Bakst (1866-1924) et celui d’Henri Gissey (1621-1673).

Afin d’ouvrir le sujet sur sa dimension culturelle, nous nous questionnerons plutôt sur la présence des plumes dans ces deux costumes espacés de deux siècles : à quels symboles correspondent les plumes ? Quelle valeur la plume prend-elle dans le contexte de la danse et du ballet ? Le panache des deux danseurs (Louis xiv en Apollon et Tamara Karsavina en Oiseau) signifie-t-il à un même niveau de lecture ? Dans la mouvance des plumes du xviie siècle, se rapporte la symbolique de l’écriture (la plume d’oie) à laquelle renvoient les notions d’éloquence, de paraître et de parades chères aux aristocrates (cf. les Précieux à l’époque de la Fronde). D’autre part, les plumes au début du xxe siècle (1910, la Belle Epoque) permettent aux riches élégantes de briller d’autant plus qu’elles évoluent avec la finesse et la légèreté du duvet, d’autant plus encore qu’elles sauront tenir leur rang en société par de petites conversations piquantes, percutantes (ou pointues). Quant à la mouvance russe, les plumes au commencement du xxe siècle, font écho à d’autres prérequis, rattachés à des archétypes initiatiques ou à quelques rites chamaniques, attendu notamment que la plume est l’accessoire et ornement privilégié du sorcier célébrant. N’oublions pas que dans le récit de L’oiseau de feu mis en scène, il est question du combat des forces du Bien, incarnées par le Prince Ivan et l’Oiseau adjuvant, contre les forces du Mal, incarnées par le sorcier Kotcheï et ses monstres au fin fond des bois, dans un palais oublié.

 

Prise sous l’angle étymologique (" pluma " en latin désigne le duvet et renvoie à tout ce qui est fin, délicat, raffiné), la symbolique de la plume (référence indicielle à l’oiseau) sous-tend différents rôles-titres, notamment le Cygne et l’Oiseau de feu (le Phénix également).

La plume, de la fin du xixe siècle au début du xxe, appose une dimension autre à la condition terrestre ; ces femmes-oiseaux apparaissent finalement plus chimériques que jamais : ce sont des fantasmes vivants d’hommes ; cette assimilation de la ballerine à l’oiseau, dans le contexte historique du xixe, n’est pas sans faire allusion à la mauvaise réputation des demi-mondaines, traitées souvent de " cocottes " ou de " poules ". Aussi cette étiquette fâcheuse double-t-elle l’invention d’un terme cher et devenu classique en danse, le très évocateur " tutu ", déformation badine du diminutif " cucu ", utilisé pour désigner ce nouveau type d’uniforme de la ballerine contre lequel les réformateurs modernes s’insurgeront (Duncan, Fokine). Néanmoins, en dépit de cette lecture triviale mais réelle, relative au statut social des danseuses occidentales de la iiie République en France, la prééminence des plumes et du plumage procure à ces personnage hybrides un surnaturel proche du sacré. Aussi les mentalités urbaines de l’ère industrielle florissante trouvaient-elles leur part de spiritualité.

 

 

Tout d’abord, la plume préserve l’oiseau ; elle lui donne chaleur et équilibration. D’autre part, elle pare et embellit. Objet organique, esthétique et utilitaire, la plume d’oie et de cygne fut utilisée pour l’écriture à dater du vie siècle. Son emploi dans le cadre des Beaux-Arts fut éclatant quand l’utilisèrent les artistes, tels Vinci, Michel-Ange, Dürer, Rembrandt. Mais de tout temps, elle a séduit les hommes pour sa beauté. Ornement vestimentaire très en vogue en France, la plumasserie qui en découle a constitué une activité exportatrice importante avant la Première Guerre mondiale, d’où sa prédominance dans le spectacle dansé, au théâtre comme au music-hall.

Ornement du modiste, la plume rayonne en panache sur les têtes glorieuses, tant celle du Chevalier, de la Dame que du Destrier. Elle offre bel et bien la possibilité de parader, d’où son utilisation massive lors des carrousels (cf. la prise des pouvoirs du monarque absolu, Louis xiv). Au service de la noblesse, son abus fera dire à La Bruyère que l’aristocrate très glorieux, c’est-à-dire vaniteux, est celui qui, aux yeux du vulgaire, a du goût à se faire voir parce qu’il a bonne opinion de soi et le fait savoir.

Véritables métaphores, les danseuses sur pointes incarnent l’emblème de la Toute Puissance puisqu’il leur est donné de voler. Ce sont des créatures ailées, ou bien sylphides, ou bien wilis, parfois papillons, quelquefois oiseaux. Elles ne simulent pas le vol, elles l’exécutent et ainsi le vivent pleinement ; certes, elles représentent le fait de voler mais, de par leur maîtrise des sauts et de l’équilibre, elles s’octroient ce don : l’envol du bondissement, l’élan, l’envolée des tours, centrifuges, elles valsent avec l’apesanteur et ravissent la lourdeur du monde ordinaire. Parce qu’elles sont éminemment glorieuses, elles nous apparaissent souvent rayonnantes, lumineuses, voire célestes car elles sont à nos yeux les émissaires de l’esprit créateur, (leur corps étant l’instrument et la fin de l’œuvre). Elles sont angéliques en somme car elles transportent, de par leur chair, de par leur morphologie, les idées d’un au-delà et de l’ici-bas (cf. Stéphane Mallarmé, l’iconographie des Ballets Romantiques, et les Ballets sans paroles du xviiie, Psyché (1790) Gardel, Flore et Zéphire (1796) Didelot, cf. l’iconographie de Wilfride Piollet).

Or, dans le vocabulaire classique, glorieux signifie d’abord orgueilleux. Cependant, une connotation positive existe puisque glorieux signifie ensuite, remarquable. L’idée coréfère au respect de soi et d’autrui, à la gentillesse, c’est-à-dire (cf. Ch. de Troyes, 1175), à la noblesse, à la générosité ou grandeur d’âme, enfin, à l’amabilité en son sens pris au xixe siècle (est gentil celui qui est bien né, celui qui brille ou est glorieux de par ses bonnes manières). Comme on le constate, une acception morale se rattache bel et bien au mot " glorieux ". Ainsi, dans son sens religieux (ou catholique), est glorieux ce qui a part à la gloire céleste, à la magnificence de Dieu. En l’occurrence, l’armée des anges participe du corps glorieux du Seigneur, c’est-à-dire, de l’Être révélé. La danseuse de tradition classique dans la danse d’élévation, répond à l’harmonique ignée du Très Haut, l’Oiseau de feu (1910) s’inscrivant dans cette pensée.

Figure d’archange puisqu’il lutte pour le Bien, l’Oiseau de feu (appelé aussi en russe, Oiseau de lumière), survient de manière épiphanique : il irradie, tel un Phénix, son apparition ressemblant aux manifestations éclatantes du divin dans le ciel. Dans la perspective biblique, Moïse vit la Gloire de Yahvé dans le buisson ardent avant de recevoir la Connaissance, les Tables de la Loi ; quant aux apôtres Pierre, Jacques et Jean, la Transfiguration du Christ sur le Mont Thabor illustre le sujet. Enfin, pour le Christianisme, le mot " gloire " sous-tend la béatitude des élus et ouvre un chemin vers le Paradis (on parle de " Séjour de Gloire " pour désigner le Paradis). Par conséquent, la gloire entretient une importante corrélation avec les termes et idées de poids et d’élévation. C’est pourquoi nous développons ici une sémiologie de la danse, ou du corps dansant, en regard du paradigme de corps glorieux, et ce à propos de L’Oiseau de feu en insistant bien sur la théopoétique de sublime qui lui est corollaire.

Sur le plan philosophique, le corps se définit en tant que forme stable et autonome, située dans l’espace tridimensionnel, dans une profondeur des lieux à investir par la personne. Son inscription spatio-temporelle lui confère concrétude et matérialité. Parallèlement, la danse dans son acception commune, " est l’art de mouvoir le corps humain selon un certain accord entre l’espace et le temps, accord rendu perceptible grâce au rythme et à la composition chorégraphique " (cf. Marie-Françoise Christout, article sur la " Danse ", Encyclopédie Universalis, 1993). En l’occurrence, user du vocable " corps dansant " repose sur un fort paradoxe sémantique puisque le corps est d’abord conçu comme une " forme stable ", comme un objet fixe, un tout mesurable et concret, tandis qu’en regard, la danse est pour sa part quasi insaisissable, fondamentalement protéiforme, définie comme " l’art de mouvoir ", l’art de la métamorphose qui joue sur les points de vue multiples et variés des possibles corporels (mises en scène et distorsions), sur les reflets et effets de miroir.

Le concept de " corps dansant " rappelle en effet la dualité cartésienne du fini et d’infini, évoquant alors le thème métaphysique et théologique de " gloire " compris en termes de " parousie " ou d’image de soi qui revient par-delà l’indicible. Du grec " parousia " qui signifie arrivée, la parousie désigne en théologie le retour glorieux du Christ à la fin des temps, en vue du Jugement dernier. Cette notion soulève celle d’apocalypse, soit de révélation suprême et ultime. Notons d’ailleurs que dans le monothéisme, entrer au Paradis présuppose que les âmes soient évaluées ; aussi les pèse-t-on : plus l’âme est légère, moins graves sont ses fautes, plus proche est sa place auprès du Seigneur. L’image biblique de la pesée au Purgatoire doit entrer en résonance avec l’obligation gestuelle d’évanescence en danse d’élévation, apanage de la danse classique occidentale ; la quête spirituelle de la légèreté est implicitement transcrite dans le langage des ballerines chaussées de pointes.

 

Valérie Folliot

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