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La figure de l’archange dans L’Oiseau de Feu (1910)
Pour une théopoétique de la beauté


Etayant la réflexion sur la danse d’élévation dans ses rapports au sublime, le rôle-titre de L’Oiseau de Feu induit l’archétype manichéen du bien triomphant du mal ; Oiseau de Lumière, phénix christique, il inspire ce rêve de transcendance par lequel l’être atteint l’éternel ou l’éternité : l’infini.

Depuis Flore et Zéphire (1796), depuis La Sylphide (1832), La Volière (1838), Giselle ou les Wilis (1841), Le Papillon (1860), Les Deux Pigeons (1886), Le Lac des Cygnes (1895), La Mort du Cygne (1907), depuis L’Oiseau de Feu (1910) en passant par Colette Willy à la Belle Epoque dans l'antithétique Oiseau de Nuit (1912), les ballets des xixe et xxe siècles ont largement véhiculé l’image fantasmatique d’une femme – oiseau, merveille dotée du pouvoir d’envol.

En dépit des divergences formelles, que ces œuvres soient classiques, romantiques, académiques, symbolistes, impressionnistes ou de type flamboyant, chacune déploie une émotivité qui transporte le corps vers une extase ; elles subliment le désir de transfiguration, déjà sensible dans Le Ballet Royal de la Nuit (1653) à l’époque baroque du Roi Soleil, Louis xiv.

De par ses origines (la danse seigneuriale est apparue au xiie siècle), la danse d’élévation a hérité du code de bienséance en vigueur dans l’éducation aristocratique occidentale ; par conséquent, elle procède des nobles manières du courtisan, d’un code de bonne conduite et de savoir-vivre ; raffinée aux xvie et xviie siècles, elle s’est perfectionnée au xviiie en défiant les lois de la physique, s’efforçant de dépasser les limites du pensable, d’où cet acharnement qui aiguise la volonté d’aller au-delà, d’où cet art divin de la saltation, aérienne et propulsive qui fait décoller la danse et engendre l’illusion du vol, d’un rapt à l’encontre de la nature, de l’ici-bas, d’où cette montée sur la pointe des pieds, d’où ce corps en suspension, en lévitation, d’où l’utilisation croissante des filins ; la danse d’élévation, qui est notamment celle de l’Oiseau de Feu, résulte, selon Pierre Legendre (1976), d’un réflexe originel édicté au nom du Père, lequel insuffle à l’homo erectus le désir de se redresser à l’image du Très Haut.

De par une esthétique issue de la Loi, les danseurs classiques et les ballerines s’évertuent dans leurs élans et dans leurs chutes à accomplir des actes au mépris de la gravité, d’où cette ouverture posturale, d’où cet en-dehors par lequel le mouvement est agi avec amplitude, dans un délié du geste qui concourt à grandir la personne, ainsi magnifiée.

En 1910, les Ballets Russes de Diaghilev tendaient vers une iconographie digne des ors de Byzance, vers la "couleur locale" du soleil levant… Schéhérazade avait plu, mais L’Oiseau de Feu était jugée admirable par le Tout Paris ; comme le commente l’historienne Marie-Françoise Christout (1995), les mondaines voulaient ressembler à l’Oiseau de Feu, "réclamant au couturier Paul Poiret les turbans lamés, les robes rehaussées de pierreries et de fourrures", les plumes… enfin, si l’évanescente Pavlova dans le Cygne angélique avait su "échapper aux lois de la pesanteur, tranchant par sa sveltesse extrême avec les canons esthétiques du temps", en revanche, l’ardente Tamara Karsavina dans L’Oiseau de Feu triomphal hissait le corps au comble de l’être au monde, rayonnant : glorieux.

Valérie Folliot

 

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