La danse délévation
Valérie FolliotDaucuns reconnaissent un don de Dieu dans lagilité du corps. Peu à peu, lhostilité de lÉglise à légard de la danse [a priori "luxure"] samuit du fait de la danse seigneuriale appréciée pour sa bienséance. Au xvie siècle, lhumanisme établit le culte de lindividu : il induit une philosophie rivée sur lhomme. En conséquence, la question du corps interroge érudits et princes. Comment être, paraître, apparaître sans faillir ; comment transparaître ? Quelle conduite adopter, quelle démarche prendre, quelle attitude choisir en société, comment éviter le ridicule, comment ne pas déroger ? La danse noble apporte des réponses en définissant les "bonnes manières", en proposant un modèle comportemental : Il Ballerino de Marco Fabritio Caroso et Le Courtisan de Baldassare Castiglione sajoutent à la lecture des ouvrages de Machiavel, Le Prince et de Baltasar Graciàn, Lhomme de cour. Parallèlement aux progrès des sciences médicales et des techniques picturales, lart de la danse se raffine ; les Maîtres à danser analysent les mécanismes et les principes du geste, ils se penchent sur lharmonie des positions et des enchaînements. En outre, dès linstant où la danse échappe aux palais pour élire les théâtres durant le xviie siècle, un profond changement doptique sopère.
" À la danse horizontale va se substituer la danse délévation que le spectateur suivra non plus de haut, mais de face. "
Georges Arout,
La danse contemporaine,
Editions Fernand Nathan, Collection Lactivité contemporaine, Paris 1955, 28.
Désormais, un face à face samorce, modifiant en profondeur les techniques saltatoires. Initialement imaginée pour embellir les seigneurs et pour occuper les dames, la danse noble appelée "belle danse française" sest toujours appliqué à dissimuler leffort, à gommer la douleur, car son esthétique dérive dune éthique chrétienne du bonheur, dune conception néoplatonicienne du bon, du bien, du vrai ; par respect pour la religion qui la domine, la danse seigneuriale se compose entre les xiie et xvie siècles de douces déambulations faites de pas glissés. Sa poétique conserve la conscience dun ici-bas, de même quelle cristallise lidée des origines célestes de lêtre (lHomme ayant été fait à limage de Dieu). La danse de Cour se révèle donc comme la transcription des concepts religieux de Grâce et dIncarnation. En soulignant la dimension "noble" de lindividu à travers ladoption de symboles hiératiques véhiculés dans la droiture de la silhouette, dans le maintien du buste, dans le port de tête notamment ou dans léconomie gestuelle, de part laisance avec laquelle les déplacements sont exécutés, en érigeant la station debout en code suprême, la "danse délévation" accentue lidée dune intrinsèque dignité.
Valérie Folliot